Par la barbe de Merlin, ce directeur devenait rasoir ! Qu’avait-il encore inventé ? Rien de moins qu’un nettoyage en règle des cachots les plus dégueulasses du château.
Découragée de par ces soirs d’insomnie à répétition, Angel se résolut à accomplir le devoir qu’elle s’imposait : aider les elfes par tous les moyens à sa disposition.
Telle une somnambule, équipée pour la bonne cause, elle descendit lentement de sa tour. Bottes de caoutchouc, tablier, bonnet et gants formaient sa panoplie de parfaite ménagère parée au grand récurage.
Le sous-sol ne l’avait jamais amusée, loin de là. Furtive, elle se dirigea vers le cachot N° 53 loin de celui où se donnaient les cours de potions.
Trois elfes oeuvraient déjà lorsqu’elle arriva en renfort. Ils lui adressèrent un timide sourire de reconnaissance pour ses efforts ; elle fit de même en empoignant un seau et une serpillière.

* Miséricorde* pensa-t-elle face à l’ampleur des dégâts.

Pour sûr, ce lieu n’avait pas connu le balai depuis belle lurette !
Partout la crasse la plus innommable s’accumulait. Du sol crasseux au plafond noirci s’empilait un fourbi inouï. Vieux chaudrons rouillés, vestiges de tableaux de classe, bancs bancals, étagères cassées, bouquins éculés : un bel ensemble de vétustés aussi inutiles qu’inutilisables.
Prenant la direction des opérations, Miss Grisham décréta :

Haut les cœurs, mes amis. Débarrassons-nous d’abord de cet attirail dérisoire !

Dire qu’un evanesco et quelques recurvit auraient suffi ! Hélas, la magie était exclue sinon, tout aurait été en ordre en un tour de baguette.
A la force des bras, donc, Angel se plia aux contraintes de sa tâche. Elle s’appliqua à débarrasser le chantier. Patiemment, elle plongea dans le barda qu’elle refila pièce par pièce aux elfes qui la relayaient. Ce qu’ils faisaient de ce matériel, peu lui importait. Elle désirait place nette avant de lessiver l’espace dégagé.
Elle se compara à un niffleur en quête de quelque trésor, s’enfonçant vaillamment dans un tas d’ordures qu’elle déplaçait avec ardeur. Puis…

* Qu’est-ce que c’est que ça ?*

Elle venait de libérer un grand chemin jusqu’au mur voisin et là…

* C’est quoi ? Une porte ?*

La curiosité avait toujours été un des plus grand défaut de la Serdaigle. De cœur, elle était Gryffondor… Il n’en fallait pas plus pour que sa nature n’agisse. Sa main se posa sur la poignée révélée dans les briques et…

Mamaaaaaaaaaaaan !

Un tourbillon fulgurant l’emporta dans un délire accéléré. Des images incroyables défilèrent sous ses yeux affolés puis, d’un coup, tout s’arrêta.
Déboussolée, éberluée, Angel contempla le décor le plus dément qu’elle ait pu imaginer.
En robe de bal, elle était accroupie sur de l’herbe rose. Alentour se dressaient des sortes d’arbres dont les fruits ressemblaient étrangement à des sucres d’orge rouges et blancs.
Avec émerveillement, Angel se releva et avança dans ce monde inimaginable. Un parterre de fleurs jaunes et violettes s’anima devant elle, lui souhaitant en musique :

Bienvenue princesse !

Interloquée, Miss Grisham réagit :

Princesse ? Moi ? Vous disjonctez ! Sachez que…

Nous t’attendons depuis longtemps ! reprit le chœur floral. Tu dois nous débarrasser de la reine de ces lieux, elle est mauvaise et nous tyrannise ; c’est ta destinée, suis-la.

Non, non ! Ces végétaux se trompaient. Les libérer, et puis quoi encore ? Elle n’était là que par hasard et ne désirait qu’une chose : rentrer au château.
L’ennui c’est que quel qu’effort qu’elle fît, aucune porte n’apparut dans son champ de vision arrière. Elle agita sa baguette en tous sens, cela ne fonctionna pas, pas plus que sa tentative de transplanage.
Coincée dans un monde où les fleurs chantaient ? Dément, débile, hallucinant !

Merci de votre accueil, finit-elle par répliquer. Je dois pourtant m’en retourner d’où je viens. Connaîtriez-vous un moyen…

Elle ne put terminer sa phrase, un groupe de… lutins( ?) l’entoura en brayant :

Elle est des nôtres, elle a passé la porte mieux que les auuuautres !

La Serdaigle se rebella légèrement :

Je n’ai rien fait que de mettre ma main sur une poignée de porte. Où est la sortie, je vous prie ?

Les sortes de gnomes, vêtus de rouge et coiffés de bonnets les faisant ressembler à de minis pères Noël la poussèrent malgré elle encore plus en avant tout en chantant :

Venez divin Messie; venite adoratum…

Un coup de bambou ? Un sortilège inédit ? Qu’avait-elle commis pour mériter ça ?
Ne sachant résister à la pression exercée par ce groupe exubérant, Angel subit le mouvement. Elle en vit des choses incroyables ! Centaures qui dansaient en tutus, nains chevauchant des gazelles ailées, végétation multicolore musicale… puis un des gnomes déclara :

Princesse, tu peux émettre cinq souhaits, ils te seront accordés hormis celui de sortir d’ici.

*Cinq ? Sont généreux dans le coin, d’habitude dans les contes de fée c’est trois.*

La belle affaire quand même ! La seule chose qu’elle désirait en ce moment était précisément de s’en aller, quoique...
Ces gens étaient charmants, passer un moment avec eux pourrait s’avérer amusant.
Rentrer restait le plus pressant.

J’aimerais rigoler, mais…

Un chœur allègre retentit :

Premier vœu exhaussé !

Ebahie, Angel vit se matérialiser la fête foraine la plus insensée qu’elle aurait pu imaginer. Montagne russe, ascenseur diabolique, rivière sauvage : rien ne manquait !
Elle s’y dépensa sans compter en compagnie de ses nouveaux amis, heureux de la voir rire comme une petite folle. Toutes ces émotions lui ayant donné faim, son estomac émis des borborygmes caractéristiques de fringales urgentes :

Deuxième souhait accordé, rit le chœur de miniatures qui fit s’étaler un buffet gargantuesque sous les yeux exorbités de la Serdaigle.

Mais je n’ai rien dit ! s’énerva Angel, salivant malgré elle.

La tentation était trop forte, elle se rua sur les victuailles exposées à sa gourmandise. Délicieux, succulents, chaque mets était un véritable régal pour l’affamée. Pilons d’Augurey, gigot de Yeti, tonne de gâteaux et beaucoup d’autres plats qu’elle préféra ne pas identifier.
Repue, elle se serait bien octroyé une sieste si à son grand effarement n’avait retenti un hourvari pas possible.
La cantonade parut effrayée :

Sauvez-vous, princesse. La reine arrive ! lui cria-t-on en se dispersant tout azimut.

Tels des animaux aux abois, ses amis désertèrent les lieux, la laissant seule face à une meute déferlante. Angel eut aussitôt envie de déguerpir à toutes jambes mais, déjà, elle était encerclée par un comité plutôt… étrange. Des cerbères ? Ces chiens à trois têtes aussi dentées que baveuses ne l’engageaient guère. Un délégué ( ?) une sorte de hyène à six pattes, s’avança en se pliant dans des courbettes révérencieuses :

S’il plaît à votre grâce, notre Majesté désire instamment vous rencontrer. Lui accorderez-vous une entrevue ?

Bof ! Angel ne le voulait pas mais avec déjà deux vœux réalisés sans autorisation, elle prit ses précautions :

Je ne le souhaite pas. Si elle le requiert poliment, soit, j’irai !

La balle était dans le camp opposé qui réagit aussitôt :

Si votre grâce veut bien se donner la peine ?

Un mouvement de bras lui indiqua l’arrière des troupes. Là, sous un dais bariolé rouge et or, porté tel un pavois par plusieurs êtres bizarroïdes, apparut la souveraine de ce monde.
Pas jolie jolie la majesté ! Grasse, un chignon roux dépassant d’une couronne d’or, elle arborait une tronche grossière fendue d’une grimace qui se voulait un sourire.
Les bonnes manières de Miss Grisham obligèrent celle-ci à plier les genoux dans une gracieuse révérence protocolaire.

Bienvenue à Utopia, belle demoiselle. Les rumeurs vont vite, par ici. Aussitôt prévenue de ton arrivée, je me suis empressée de venir à ta rencontre. Je suis Empotée 1ère, souveraine absolue de ce royaume.

Sous cet air affable, quelque chose disait à Angel que la dame se forçait à l’amabilité. Elle réfléchit en vitesse et conclut :

* Si elle croit que je viens prendre sa place… elle ne va pas tarder à me malmener…*

Il fallait finasser.

C’est trop d’honneur, Altesse ! Ma petite personne ne mérite pas qu’une aussi prestigieuse dame se déplace me visiter. D’ailleurs, si vous pouviez m’indiquer la sortie, j’en serais ravie.

Les yeux de fouine de la reine se plissèrent de satisfaction avec une pointe de… sadisme( ?)

Beaucoup, à Utopia, pensent qu’une jeune fille de grand courage viendra les délivrer… de MOI !! Es-tu celle-là ?

Certes non, s’empressa Angel. Plus couarde que moi, il n’y a pas ! Je ne sais d’ailleurs rien faire de mes dix doigts, je suis très maladroite.

Se penchant en avant afin de mieux toiser la visiteuse, Empotée s’emporta :

Mais très habile pour manier ta langue de serpent. Pour répondre à ta question, oui, je vais t’indiquer la sortie… QU’ON LUI COUPE LA TÊTE ! beugla-t-elle.

La serdaigle déglutit. C’était une blague, espéra-t-elle. Oh oh ! L’espèce de troll qui s’avançait vers elle portait un cimeterre de titan… Les choses se gâtaient à pas de géant. Une idée, viiiite !

* Fais un vœux, triple buse*

Je veux qu’en disparaissant à l’instant, tous vos sujets vivent heureux jusqu’à la nuit des temps.

Elle n’eut même pas à croiser les doigts que la reine s’évapora. De son corps, il ne demeurait sous le dais que sa cape rouge bordée d’hermine blanche. Une immense clameur retentit dans l’atmosphère. Même les gardes royaux lancèrent des vivats. De suite, on souleva Angel pour la porter sur le pavois.

Vous êtes bien gentils mais je ne veux pas, se débattit-elle, embarrassée.

Tous insistaient, elle résista plus vigoureusement.

Je ne veux pas, je ne veux pas, lâchez-moi de suite !

Quatrième souhait ! rit la compagnie.

Pour la lâcher, ils le firent. Du coup, Angel vit trente-six chandelles en atterrissant brutalement sur… la crasse du cachot. En lieu et place d’une foule allègre, elle découvrit les mines inquiètes d’une dizaine d’elfes penchés sur elle.

J’AI RÉUSSI ! s’écria-t-elle folle de joie.

Son emportement hilare ne sembla pas rassurer les créatures assemblées. L’une murmura :

Allez-vous bien ? Nous avons eu très peur quand le chaudron est tombé sur votre tête…

Quoi ? Alors elle n’avait rien traversé ? Ce n’était qu’une illusion due à un coup de chaudron ?

Ça va aller, dit-elle aux elfes en se relevant. Nous avons du pain sur la planche. J’aimerais que tout soit nickel pour pouvoir…

Sous ses yeux éblouis, en un instant, le cachot reluisit d’une propreté impeccable.
Vaguement, dans son esprit déboussolé, retentit comme un écho :

Dernier souhait accompli !

Angel sourit.