Artémidore se rendit à la Tête de Sanglier en fin d'après-midi, alors que les rues commençaient à se vider et que de lourds nuages s'amonçelaient au dessus du village. Un orage ne tarderait sans doute pas à éclater, mieux valait donc s'abriter rapidement.

Sans aucun doute, l'ambiance était ici beaucoup moins bon enfant qu'aux Trois Balais.
Les fenêtres étaient terriblement crasseuses, et une gigantesque toile d’araignée recouvrait une tête réduite suspendue à la porte.
Il faisait assez sombre à l’intérieur ; la lumière que procurait une demi-douzaine de bougies jaunâtres, déjà presque éteintes, ne suffisant évidemment pas à éclairer la pièce entière.

Ici ou là, quelques sorciers aux teints blafards et aux vêtements miteux chuchotaient avec animation, s’agitaient beaucoup, puis se taisaient et jetaient des regards furtifs autour d’eux, s’assurant de l’absence d’espions éventuels.

Tout au fond du bar, dans la pénombre, se tenait un vieillard édenté qui fumait la pipe et le dévisageait, l'air mauvais.

L'endroit méritait visiblement sa mauvaise réputation, et Artémidore comprenait fort bien ce qui faisait de lui le repère des Mangemorts.
Aucun des clients n'avait une tête d'enfant de choeur, à tel point qu'ils semblaient tous avoir la Marque des Ténèbres tatouée, non pas sur le bras, mais sur le front ! Il était étonnant qu'il n'y ai jamais eu de descentes d'Aurors dans ce pub...

Il s'assit à une table proche du comptoir, commanda un Whisky et l'attendit en silence.

Artémidore se passa la main sur le visage en soupirant. Non pas que sa journée ait été particulièrement longue, ni difficile, mais maintenant qu’il était assis seul devant son verre bientôt vide, à la Tête de Sanglier, il se demandait ce qu’il était véritablement venu y faire.

S’imaginait-il qu’il lui suffirait de tendre la main à un des types d’ici en disant « Bonjour, je suis Mangemort, et vous ? » pour qu’on lui propose poliment de rencontrer le Seigneur des Ténèbres ? C’était grotesque. D’autant plus grotesque que le su-cité mage noir veillait précisément à ce que ses partisans ne se connaissent pas trop, pour limiter les délations mutuelles en cas d’arrestation.

Artémidore caressa son avant-bras gauche d’un air songeur, là où se trouvait la preuve de son allégeance à Celui-dont-on-ne-devait-pas-prononcer-le-nom.
En effet, il ne pouvait toujours pas se vanter d’être indispensable à son maître, quoique le besoin de le devenir se faisait en lui chaque jour plus pressant.

Il secoua la tête pour chasser ces désagréables pensées de son esprit, et se retourna à l’instant même où un nouveau venu faisait une entrée littéralement fracassante dans le pub. L’orage venait d’éclater.
L’inconnu se dirigea vers le comptoir et s’assit à ses côtés sans mot dire. Artémidore pu donc l’observer à loisir, avec une relative discrétion. Son aisance prouvait qu’il fréquentait l’établissement depuis assez longtemps pour s’y sentir chez lui…Quant à savoir s’il était Mangemort, c’était une autre affaire.

Soudain, sans raison apparente, quelqu’un saisit le « nouveau » par l’épaule et l’obligea à se mettre debout avec une extraordinaire brutalité. Sa Bièrauberre vola aussitôt en éclat, au grand dam du barman, qui achevait de faire reluire une ou deux assiettes.
Levant les yeux, Artémidore fut surpris de reconnaître le même vieux sorcier qui l’avait impudemment toisé tout à l’heure. Il ne s’attendait pas à une telle vitalité de sa part, ni non plus à une telle puanteur ! D’aussi près, il était particulièrement repoussant.

L’œil torve, il accusa sa « victime » de l’espionner, et s’apprêtait sans doute à lui jeter un sort.

Bien que l’histoire ne le concerna pas le moins du monde, les deux hommes étant sur le point de se battre juste à côté de lui, il lui était impossible de ne pas réagir. C’est ainsi qu’il se leva à son tour et extirpa sa propre baguette de sa manche.

-Messieurs, je crois qu’il s’agit d’un stupide malentendu…

Son ton était conciliant, même si l’incontestable manque de courtoisie du vieux paranoïaque l’irritait au plus haut point.
La diplomatie dont il tentait de faire preuve paraissait complètement incongrue dans ce lieu, et dans cette situation, mais Artémidore était persuadé que s’il lançait le moindre sort, la scène finirait en pugilat.

Le type à côté de lui venait de se remettre sur ses pieds et eu assez de tact pour ne pas dégainer immédiatement sa baguette, ce qui à coup sûr aurait rendu le vieux encore plus furieux qu’il ne l’était déjà. Ou bien était-il trop effrayé pour bouger ? Cela restait à voir.
La tension qui régnait dans la salle était palpable. Les murmures avaient cessé. Certains s’étaient levés pour mieux voir ce qui se passait au comptoir.

La voix du sorcier inconnu s’éleva, étrangement basse, dans un silence de mort : Il confirmait, bien sûr, qu’il s’agissait d’une regrettable erreur.
Cependant, il vint à l’esprit d’Artémidore que le vieux fou pouvait avoir raison, et que son souffre-douleur était peut-être réellement un mouchard. Si c’était le cas, il ne donnait pas cher de sa peau.

L’ivrogne, qui gardait la main crispée sur sa baguette, cligna lourdement des paupières. L’information avait visiblement du mal à parvenir jusqu’à son cerveau…

Artémidore fixa le barman avec insistance, espérant qu’il aiderait à ramener le calme dans son pub. C’était peine perdu : Il évitait obstinément de lever les yeux de ses casseroles.

Soudain, le vieux pivota sur ses talons et pointa sa baguette dans sa direction.
« Alors c’est toi ! Je t’ai vu en entrant ! » Grogna-t-il en plissant ses petits yeux noirs.

Son adversaire mesurait bien une tête de moins que lui, sans compter qu’il était plus âgé, et à demi ivre. La menace qu’il représentait était donc tout, sauf réelle, mais la liberté qu’il avait prise de le tutoyer lui hérissa le poil. Il eu un petit rire nerveux.
Beaucoup moins affable que tout à l’heure, il demanda avec une sollicitude délibérément provocante :

-Vous n’êtes pas sérieux ?

Le puant était soit totalement abruti par l’alcool, soit suicidaire. En fait, ça n’avait pas vraiment d’importance : S’il continuait à chercher les embrouilles, vieux ou pas, Artémidore n’aurait pas de scrupules à lui faire regretter son insolence.

Il parcouru la salle du regard, faisant un rapide calcul du nombre de clients susceptibles de se joindre à lui si nécessaire, ou à l’inverse, de prendre le parti de son rival.
Déjà, il sentait l’adrénaline montait en lui par vagues successives, et un rictus de mépris lui déforma la bouche tandis qu’il restait nonchalamment appuyé au comptoir.