L'heure était apparemment au shopping nocturne. Des dizaines de personnes couraient en tous sens, entrant en trombe dans des magasins bondés et surchauffés et trébuchant sur les monticules de neige qui ornait l'enchanteur chemin de traverse ; les courses de noël venaient de commencer. Même dans le monde magique, les gens s'activait à trouver le cadeau qui conviendrait le mieux à leurs proches, tournant et retournant sans relâche dans les magasins remplis à ras-bord de présents aguicheurs. Mais ces préoccupations, bien que propres à chaque humains, étaient bien éloignées de l'esprit du jeune homme qui, titubant, arpentait la grande rue illuminée. Torse nu, seul un pantalon rapiécé ainsi qu'un longue cape miteuse le protégeait du froid et des flocons brûlants qui tombaient par milliers, et cela depuis les premières heures de l'aube.

Il avait erré, sans aucun but, juste pour observer les gens heureux et occupés. Lui n'avait personne à combler, personne exceptés ses comparses, ses frères ; les mangemorts. Mais pour une fois, ces derniers l'avaient laissé seul avec son esprit et ses démons, dans la neige abondante et déchirante, avec pour seul ami un scotch dégueulasse et surement périmé. Son corps rougis et strié de nombreuses balafres semblait effrayer les quelques passants qui s'attardaient à l'observer ; une petite fille alla même jusqu'à le pointer du doigt et échanger quelques mots avec sa mère, qui bien vite la prit sous son bras et l'emmena au loin. Les avis de recherches pleuvaient dans le pays, mais nul ne le reconnaissait sous cette barbe naissante et ces longs cheveux blonds et gras qui lui dévoraient les épaules.

Bientôt il s'écroula dans la neige. Elle lui mordait les membres, mais il n'en avait que faire, seul son regard semblait attiré par le ciel comblé d'étoiles. Au bord du sommeil, ou peut-être était-ce de la mort ? Il ferma les yeux et sombra dans ses pensées. Pourtant, quelque chose l'observait, l'attirait irrémédiablement ; alors il rouvrit ses paupières et tomba, non sans surprise, sur un visage trouble et inconnu.

Après plusieurs clignement d'œil, une image nette du délicat visage qui le scrutait lui apparut enfin. La jeune femme était délicieuse ; sa soyeuse chevelure brune, ses yeux taquins et doux, tout semblait superbe en elle. Rien que la couleur mordorée de sa peau suffit à le réchauffer ; alors il déclina d'un mouvement de tête l'offre qu'elle lui faisait. A en juger de sa prestance et de la beauté de ses habits, il était quasiment sur qu'elle ne pouvait être que son ennemie ; alors pourquoi ne l'avait t-elle pas déjà tué ? Il devait certes être méconnaissable après ces longs mois de vagabondage et de combats sanguinaires et incessants, mais ses yeux ne lui avait jamais permit de se terrer bien longtemps ; les aurors le repérant toujours à la profondeur de ces derniers.

Allongé par terre aux pieds de cette princesse, comme le plus pauvre des clochards, il se contentait de la regarder, sans appréhension, mais sans haine non plus. Dans quelques minutes il serait peut-être mort ; tout du moins si elle le reconnaissait, ce qui ne serait pas bien dur au vu du panneau affichant sa tête quelques mètres plus loin. De plus il n'avait pas prit sa baguette, stupidement. Seul un couteau glissé dans la poche de sa cape et maculé de sang coagulé pouvait lui servir de défense, dans l'hypothèse bien sur où il oserait exécuter une si jolie créature.

Il se releva lentement, puis se posa sur ses genoux, observant silencieusement la jeune femme. Ses traits maintenant étaient exposés à la lumière, ses yeux perçant la traversant sans pitié, et cela malgré sa position peu conventionnelle. Mais après tout, ne semblait t-il pas être un clochard innocent dans cette neige immaculée ? Tout du moins ses habits en témoignait, de même que son aspect général, qui aurait fait pitié même au plus dur des hommes. Tout en terminant de se relever, il attendit qu'elle se mette enfin à parler où s'en aille.

Les flocons caressaient sans tendresse ses épaules semi-dénudées. Il ressentait le froid jusque dans son cœur, dont les battements par ailleurs diminuait à vue d'œil. S'il avait eu sa baguette, il aurait au moins pu faire un feu, ou alors des vêtements plus chaud, mais pour le moment il devait se contenter de ce qu'il avait sur le dos. La neige gelait ses pieds nus ainsi que ses jambes pourtant couvertes, mais après tout, ce n'était rien ; il avait déjà vécu cent fois pire, ce n'était pas une petite vague de froid qui viendrait à bout de lui, ni quelques superficielles blessures. Pourquoi d'ailleurs cette jeune femme s'inquiétait t'elle pour lui ? N'avait t'elle aucun doute sur les balafres striant son corps de haut en bas ?

Étant en face d'un tueur sans pitié ni discernement, elle aurait mieux fait de prendre garde à elle, plutôt. Mais apparemment elle n'avait pas encore compris à qui elle avait à faire ; alors elle glissa dans sa main gelée une écharpe à la texture moelleuse et chaude, par peur surement que l'hiver ne l'achève. Il la referma sur celle-ci, et se l'enroula autour du cou, en signe d'abdication. Si elle savait... Mais elle n'en savait rien, alors pourquoi ne pas jouer avec cette douce princesse ? Pourquoi ne pas lui faire croire à l'agneau, alors qu'en dessous se cache le loup ? Il n'aurait qu'à la tuer le moment venu... Pour le plaisir.

Plongeant son regard dans le sien, il secoua la tête et murmura un faible 'merci', bien vite emporté par le vent. Puis se saisissant délicatement de la fine main de la jeune femme, il la porta à ses lèvres et dit, sur un ton à la fois enjoué et mystérieux...

"- Drakon, pour vous servir."

Il la lâcha, sans volonté, puis leva les yeux vers le ciel. Quelques flocons frais et humides vinrent se poser sur sa pupille nacrée de bleu, mais il ne referma pas ses paupières. Il avait bien sur plus chaud grâce à la jeune femme, mais il aurait survécu sans ; il l'avait bien fait durant une dizaine d'années !

Pourtant, il ne su si c'était grâce à l'écharpe, ou juste à la présence de cette âme inattendue, mais son cœur se réchauffa sans que ses membres ne le suivent. Allons, pourquoi s'attendrir ? Elle ne passerait de toute façon pas la soirée.

"- Et à qui ai-je l'honneur ?"

Froide était la nuit qui l'enveloppait de ses bras délicats. Mille âmes marchait en cette ruelle, durant ces heures aussi longues que rudes. Pourtant tous avaient l'air de sourire ; tous étaient heureux, nul ne pouvait un instant penser que la vie ne tenait qu'à quelques fils, aussi fragiles que la soie ô combien éphémère d'une Veuve Noire. Posant son regard sur un ciel qui ne l'accompagnait pas, il se sentit perdu ; sans cette volonté habituelle qui le poussait à massacrer ennemis et innocents, sans ce plaisir indistinct qu'il ressentait à la vue d'une mare de sang rougeoyante et pâteuse, sans tout ce qui chaque jour rajoutait à sa sombre démence ; le garçon n'était plus que l'ombre de lui-même. Ce n'était nullement la première fois qu'il passait une nuit aussi calme et reposante que celle-ci, encore moins lorsqu'elle était liée à Noël ; en effet il n'aimait pas tuer lorsqu'une si douce ambiance festive lui réchauffait le cœur. Il n'appréciait pas de voir des yeux s'éteindrent, la pupille blanchâtre et diluée dans un seau de terreur, lorsque les sourires étaient aussi nombreux que les oiseaux dans un ciel reluisant et iodé.

Mais l'ambiance ne faisait pas tout. Elle ne faisait rien même ; il devait tuer cette femme qui normalement était son ennemie ; néanmoins, face à cette douceur et ces attentions -même d'usage-, il ne pouvait qu'abandonner son âme aux percussions de sa pudique tendresse. Alors il relâcha ses nerfs, depuis longtemps écartelés par les tendeurs de la haine, et jusqu'à l'achèvement de cette nuit tellement froide et sirupeuse, il ne laisserai pas la folie s'emparer de son esprit. Une heure nouvelle s'annonçait, une heure où il se sentirait enfin homme, et non chien ; une heure qui le porterait au grâce d'un soleil immaculé... Une heure qui le laisserait souffler après une année de désespoir.

La jeune femme l'observait, toujours ce même sourire lui striant le visage d'une grâce inimaginable. Le jeune Mangemort prit le temps de mieux la détailler, non sans une discrétion qui lui était propre : elle était fine, si ce n'est très, les lignes graciles de son visage faisant ressortir ses prunelles aux couleurs ô combien étonnante. Vertes ou bleues, il ne les distinguait pas tout à fait ; les larmes gelées coulant des siens le frappant d'une presbytie temporaire. Juste deux saphir dans la nuit éternelle ; où étaient-ce deux émeraude ? Sa bouche éclatante et vermeille le frappait au même titre ; la crinière d'ében de la belle jeune femme contrastant et la noyant dans le sombre paysage. Comment aurait-il pût découper un ange à l'iris si pur ? Comment aurait t-il osé la plonger dans la nuit éternelle ?

Face à lui n'importe quel homme aurait été roi ; et n'importe quelle femme princesse. En effet, ses habits rapiécés semblaient tout droit sortit d'un autre siècle. Alors que la magie lui aurait permit de préserver un confort de vie plus qu'acceptable, il préférait s'y refuser ; ne trouvant la présence de ce dernier que dans la destruction d'une vie, dans un flot de sève aussi rougeâtre que profond. Mais pour revenir à sa description ; le jeune homme avait l'air blessé. Son corps marqué par les si nombreux sorts l'ayant touché était rosit par la froideur de l'air ; ses blessures n'en apparaissant que plus impressionnantes. Surtout cette longue balafre qui le coupait de l'épaule droite à la hanche gauche ; fraiche du matin même, elle était encore rouge et semblait douloureuse. Quelques autres aussi parsemaient son torse et son ventre de petites striures écarlates, remplaçant celles qui déjà commençaient à s'effacer de sa peau rugueuse et glacée.

L'attitude chaleureuse et protectrice de la jeune femme était bien sûr compréhensible. Trouver un homme si abimé, et écroulé dans une neige glaciale alors que Noël pointait le bout de son nez devait être pour elle intolérable ; alors elle lui avait apporté son aide, sans son consentement, certes, mais intérieurement il la louait. Pourtant il n'avait aucun besoin de ça ; il avait déjà vécu amplement pire... de longues nuits passés dans des ruelles sombres, se noyant dans le lac de son propre sang ; avec pour seul ami son cœur, enfin lorsqu'il en avait encore un. La voix douce et chantante vient à nouveau glisser jusqu'à ses tympans engourdis ; le nom sonnait comme une mélodie céleste, s'accordant parfaitement avec la joliesse de cette demoiselle. Il n'eut le temps d'ouvrir la bouche qu'elle reprenait déjà, et ce fut encore pour sa santé que les mots nés de lèvres carmins vinrent s'insurger. Son ton mystérieux et langoureux le berça, l'air engourdissant aidant ; alors il se laissa prendre au jeu, fermant à demi ses paupières et la regardant de ses yeux bleu translucides.

"- Peut-être qu'un verre avec vous aiderait à faire refermer ces vilaines égratignures... Enfin si vous n'êtes pas trop pressée, bien sur."

Il avait foi en l'acceptation de la jeune femme ; elle semblait bien trop bonne et pas assez égoiste pour le laisser se morfondre dans cet univers molletonné, et même s'il n'en mourrait pas, elle le croyait, et c'était le principal !