Je suis née cette nuit dans le pré car il faisait vraiment un temps épouvantable. Tonnerre, éclairs, vent infernal et pour finir, un vrai déluge d’eau glacée. Au matin, un ciel un peu tourmenté se reflétait à ma surface. Je vis avec plaisir que j’avais plein de sœurs, petites ou grandes près de moi. Ah… je me croyais tranquille, juste bonne à attendre l’arrivée du soleil qui s’occuperait de m’évaporer en douceur. Mal m’en prit ! Je ne m’attendait pas du tout à ce qui se produisit.
D’abord, j’entendis de curieux cris. Ça cacardait dans tous les coins. Je tentai de voir qui prononçait ces « coins coins ». Le vent agitant ma surface me permettait de soulever un peu la tête. Au raz du sol, j’aperçus enfin un troupeau, ils étaient bien une dizaine de volatiles gras au plumage de neige… des oies !
Affairées, elles se jetèrent joyeusement sur moi et mes sœurs, souillant notre limpidité par leurs jeux agités. Leurs pattes palmées remuaient notre fond détrempé, y mêlant divers débris. Je me sentis toute sale après le bain forcé de ces oiseaux.
M’enfin ! Aucun respect pour une tite flaque d’eau ? On était bien arrangées ! Il faudrait des heures de décantation pour retrouver un semblant de netteté.
Hélas… Le pire était encore à venir. Nous nous remettions doucement de notre agitation qu’un tremblement du sol brouilla à nouveau nos idées en ridant fortement notre miroir d’eaux calmes. Qu’est-ce que c’était que ce martèlement agressif accompagné de… grognements?

* Oh non ! Pas ça ! * implorai-je muettement le ciel responsable de mes malheurs.

Eh bien si ! Le second assaut provenait d’une quinzaine de porcs aussi ronds que roses. En fait de rose, ils ne la sentaient pas ! Pourquoi avais-je atterri dans ce pré et pas de le voisin ? J’eus beau protester, refuser ce viol de mon intimité, ces cochons n’entendirent pas et se vautrèrent sur moi.

Au secours !

Personne n’entendit, bien sûr. C’est qu’ils étaient lourds, ces bestiaux ! Ils m’écartelèrent, l’aplatirent, me coupèrent en plusieurs morceaux de plus en plus souillés. Je n’étais plus une gentille tit flaque mais une grosse marre de boue ; pouah !
Je voulus mourir pour effacer ma honte. Le soleil généreux me prit en pitié. D’infimes portions de ma substance s’élevèrent au ciel. Je quittai la boue séchée avec bonheur.
Un jour, je reviendrais sur terre, le cycle est ainsi fait. Une chose est sûre, je ferai plus attention à ma destination.

Cette journée-là, je crus que j’allais mourir… La nuit avait été terriblement chaude et le soleil levant encore davantage, tellement que je me craquelais. Je cherchai désespérément un nuage de pluie, mais malheureusement le ciel était vide. J’essayai de dénicher une source potentielle de secours, sans succès. Dans le pré, il n’y avait que moi, pauvre flaque de boue oubliée, de l’herbe jaunit par la canicule et un cochon arrogant. Ce dernier osait, chaque jour, se coller à moi pour combler certains de ses besoins. Monsieur a envie de s’amuser? Pas de problèmes, la boue de service pourra vous aider! Sans jamais me demander mon avis, ce balourd me sautait littéralement dessus laissant s’éparpiller des parties de moi sur le gazon et souvent même, sur sa peau! Mais ce n’est pas tout, le petit malin répétait ce manège dès qu’il en avait la chance. Que ce soit pour vaincre la chaleur, se débarrasser des moustiques, se détendre ou même faire sa toilette, le porc s’en donnait à cœur joie. Pour une fois, c’était moi qui pouvais rire dans ma barbe. Le soleil était brûlant certes, mais cet abruti ne pouvait pas se rafraîchir au détriment de mon corps, chose qui me fit réellement plaisir.

La matinée passa et midi sonna. L’air s’alourdissait et mes côtés se transformaient en poussière. Tout autour de moi semblait onduler me donnant l’impression de me trouver dans un désert. Cette pensée m’affola un peu, je n’avais pas envie de finir en carré de sable comme mes parents, mes frères et mes sœurs. Je ne voulais pas mourir, j’étais si jeune, une demi saison à peine… Pourtant, je dus me rendre à l’évidence : je n’avais aucune chance face à cette épreuve, j’allais tout simplement disparaître.

Alors qu’il ne restait de moi qu’une minuscule flaquette humide, la bête rose s’approcha doucement. Il m’observa étrangement puis se mit à me renifler avec son groin indélicat. Après quelques instants, je l’entendis grouiner. À cause de lui, me dis-je, je vais quitter le monde avec comme bruit de fond la cacophonie des cochons.

C’est alors qu’un animal étrange se tenant sur deux pattes arriva. Il avait sur lui des feuilles de couleur et un nid d’oiseau sur le crâne. Dans l’une de ses pattes, il tenait un gros serpent vert qui ne semblait pas avoir de fin. C’est à cela que ressemble la mort, pensais-je. J’attendis mon heure sans résister quand un langage inconnu me fit sursauter.

Hé, t’avais chaud mon cochon hein? Ben vlà quelque chose qui va t’faire du bien!

Puis son serpent se mis à me cracher de l’eau. Je me sentis renaître sous cette pluie artificielle. Le porc ne perdit pas de temps pour venir m’aplatir et m’écraser comme avant, mais pour une fois, j’en fus vraiment heureuse. Grâce à lui, chaque jour de canicule, je fus désaltérée. Plus jamais je ne me plaignis lorsqu’il se roula contre moi, au contraire. Ainsi, je terminai gelée à l’hiver pour renaître ensuite à la saison nouvelle.