Pam-Annda ouvrit les yeux tardivement ce samedi-là. Elle avait travaillé jusque tard dans la nuit pour finir un dossier important rapporté du Ministère. Son père avait passé le début de la soirée dans son bureau, faisant mine de lire la Gazette du Sorcier alors que sa fille l’avait déjà vu la lire le matin au petit-déjeuner, attendant le moment et le moyen de lui parler. Fatigué de sa propre comédie, il avait fini par demander :
_ « Tu n’as rien à me raconter ? »
La jeune femme n’avait pas levé le nez de ses papiers. Elle savait de quoi il voulait parler. Il voulait savoir comment se passaient ses activités de Mangemort.
_ « Non », avait-elle répondu simplement.
Alors il s’était levé, avait replié hâtivement son journal – comprenant enfin qu’il avait attendu en vain – et s’était dirigé vers la porte d’un pas trop vif pour mentir sur sa frustration. Avant qu’il ne sorte, sa fille avait tout de même lancé :
_ « J’ai rencontré Lupin. »
Et l’homme avait retrouvé un semblant sourire. Elle était toujours de ce monde, ce qui signifiait que la « rencontre » s’était bien passée.

Pam-Annda s’extirpa de ses draps hors de prix avec paresse et décida qu’un bain ferait du bien à sa nuque et à son dos raidis par ses longues heures de travail. L’elfe de maison qu’elle appela se hâta de faire couler de l’eau tiède et de remplir la baignoire de différents produits colorants et moussants dont personne - sauf sa mère, Brix de Ventadour, qui les commandait - ne connaissait réellement l’utilité. Elle s’y prélassa trois quarts d’heure en s’y immergeant totalement, respirant au moyen d’un simple sortilège de Tête-en-bulle. Pendant ce temps, les elfes de maison jouaient aux dés celui aurait aujourd’hui l’insigne honneur de coiffer les cheveux de « l’Impératrice » comme ils l’appelaient entre eux. L’un des plus anciens, portant l’hideux nom de Spark, s’y colla avec un entrain incompréhensible pour un être humain. Il dut attendre que sa maîtresse se soit vêtue, d’une superbe robe de velours vert, et assise à son bureau pour se précipiter, peigne et barrettes en main, vers elle. Il traita ses cheveux blonds avec la même précaution que s’il avait s’agit de fils d’or et, toutes réflexions faites, il se pourrait fort bien que son esprit légèrement perturbé croyait sincèrement que ç’en étaient. Il avait en tête une idée de coiffure qu’il avait passé la nuit à élaborer, preuve de son état mental dégradé. Aussi fut-il très déçu quand elle lui annonça qu’elle préférait les garder naturellement lâchés pour aujourd’hui. Après tout, elle n’avait pas à sortir.
Elle regagna son bureau immédiatement, sans descendre dans la salle à manger. Elle n’avait pas faim ce matin. Elle y trouva Polly, un autre elfe de maison, affairée à cirer le parquet dans un coin. Si la jeune femme n’aimait personne, elle appréciait Polly. C’était le serviteur le plus ancien de la famille Ashfield et n’avait jamais rien fait qu’il lui valut une remontrance de la part de Pam-Annda. Aussi, il lui arrivait de lui parler en oubliant sa condition d’être inférieur. Ce matin-là, elle commença même par la saluer :
_ « Bonjour, Polly. »
L’elfe sursauta et se fendit en une fervente révérence :
_ « Bonjour. Polly espère que la jeune maîtresse a bien dormi. »
_ « C’est le cas, merci. »
_ « Polly a bientôt fini. »
Pam-Annda s’assit dans son grand fauteuil de cuir pour commencer à travailler et secoua la tête :
_ « Tu ne me déranges pas. Tu peux rester. »
L’elfe ouvrit des yeux tout ronds et couina :
_ « Mais… Polly doit tout laver avec l’arrivée du visiteur. »
La jeune femme leva les yeux de la paperasse étaler devant elle et fixa le serviteur de ses grands yeux d’émeraude devenus sévères.
_ « Quel visiteur ? »
_ « … La jeune maîtresse ne sait pas qu’elle a un rendez-vous ce matin ? Polly est confuse ! Polly n’aurait peut-être pas du le dire ! Méchante Polly ! Vilaine ! Vilaine ! »
La créature commença à s’énerver contre elle-même en se frappant le front du plat de la main. Le coude sur la table, Pam-Annda appuya son index sur sa tempe droite et ferma les yeux, essayant de maîtriser la colère qui montait en elle.
_ « Qui a pris le rendez-vous ? » demanda-t-elle avec le calme qui précédait généralement la tempête.
_ « Le maître », lâcha l’elfe avant de plaquer sa main contre sa bouche avec horreur et de reprendre : « C’était peut-être un secret du maître ! Vilaine Polly ! Vilaine ! »
Pam-Annda s’attendait à cette réponse mais avait attendu de l’entendre pour laisser éclater sa colère. Elle se leva, attrapa le vase vide en cristal qui ornait un coin de son bureau et l’envoya de toutes forces à l’autre bout de la pièce où il se brisa sur le coûteux tapis acheté le mois dernier par Fedric. Elle ne hurla pas comme elle aurait aimé le faire mais sortit d’un bon pas pour aller trouver le responsable de son emportement. Pendant ce temps, Polly ramassa les morceaux et passa de nouveau le balai sur la carpette, tout en s’insultant elle-même copieusement pour le trouble qu’elle avait provoqué.
Pam-Annda entra sans se faire annoncer dans le bureau de Fedric Ashfield. Ce dernier ôta ses petites lunettes rectangulaires dont il avait l’usage pour lire et reporta son attention sur sa progéniture. Devenir Mangemort lui avait donné plus d’assurance et il commençait à regretter le temps où elle obéissait à tous ses ordres comme un bon petit soldat. Elle était devenue directive, plus sûre d’elle, affirmait volontiers son opinion dans leurs conversations au lieu de se plier à la sienne et cela cette nouvelle attitude commençait à faire peur à son père qui la soupçonnait d’avoir tué de sang froid Kisne Ashfield, pourtant son grand-père, sur ordre du Dark Lord. D’ordinaire, il aurait tenté l’ironie avec une phrase du genre « je vois que tu as appris la nouvelle » mais cette fois-ci, il jugea prudent de la prendre avec des pincettes :
_ « Bonjour, ma fille. »
Malheureusement pour lui, Pam-Annda n’était pas non plus d’humeur pour la fausse amabilité.
_ « Est-ce que VOUS avez pris un rendez-vous sur MON agenda ?! » cria-t-elle presque en se plantant devant lui, les points sur les hanches.
Le patriarche de la famille Ashfield frémit. Sa perte d’autorité l’inquiétait de plus en plus. Fut un temps pas très lointain où la jeune femme aurait préféré s’immoler plutôt que d’élever la voix pour s’adresser à lui. Il valait mieux qu’il s’explique, et vite…
_ « J’ai rencontré mon vieil ami Alesius Stunnings dans la rue de Traverse hier soir alors que je venais d’acheter quelques livres d’Histoire de la Magie que m’avait conseillé un ami de ta mère la veille. »
_ « Est-ce que ces détails sont nécessaires ? » maugréa Pam-Annda en se laissant tomber dans un fauteuil.
_ « Patience, ma fille. Je disais donc que j’ai rencontré Alesius tout fait par hasard. Je t’en ai déjà parlé, souviens-toi, nous avons fait notre scolarité ensemble à Poudlard dans la glorieuse Maison de Serpentard. Je ne l’avais pas vu depuis un certain et j’ai appris de sa bouche qu’il avait du aller dans le Grand Nord pour quelques affaires professionnelles sur lesquelles il ne s’est pas épanché. »
La jeune femme savait pertinemment que lui s’épanchait sur des informations sans importance dans le seul espoir de voir diminuer sa colère au fil des minutes. Cependant, elle le laissa poursuivre. Après plusieurs secondes de hors sujet, il en vint aux faits :
_ « Il m’apprit qu’il avait un neveu en dernière année à Poudlard, évidemment chez les Serpentard, et que ce dernier désirait ardemment apprendre la magie noire. Il me le dit bien sur loin de toutes oreilles indiscrètes. Je lui ai alors parlé de tes talents extraordinaires, sans jamais prononcer le nom de ton nouveau groupe ni celui que tu sers et nous avons arrangé une rencontre entre vous le lendemain matin, c’est-à-dire ce matin même. Pensant que tu refuserai, je l’avoue, je ne t’en ai pas parlé au préalable. Puisses-tu me pardonner et te montrer un rien aimable avec le neveu de mon cher ami qui doit être en chemin à l’heure qu’il est. »
Pam-Annda se leva lentement, partagée entre la colère et la résignation.
_ « Je ne suis pas professeur. »
_ « Sois le pour ce jeune homme. Alesius m’a assuré qu’il était du genre d’êtres que tu peux apprécier : brillant mais sombre. »
Sans un mot de plus, la jolie poupée blonde sortit et son père poussa un discret soupir de soulagement.

Une heure plus tard, on frappait à la porte de son propre bureau qu’elle avait regagné et la voix de Polly s’éleva de derrière le battant entrouvert.
_ « Monsieur Stunnings est là, jeune maîtresse. »
Les gonds du ventail grincèrent légèrement et Pam-Annda leva ses yeux d’émeraude sans pareil pour les poser sur le visage de son visiteur.

Pam-Annda sentait distinctement la fureur qui l’avait prise tout à l’heure la gagner de nouveau. En plus d’avoir été forcée à recevoir le jeune homme, elle devait souffrir d’entendre qu’il ne connaissait rien de sa famille, pourtant l’une des plus riches et des plus prestigieuses du monde de la Magie. La seule envie qu’elle avait eue suite à cet aveu avait été de lui désigner l’un des gros grimoires de sa bibliothèque relatant l’histoire des Ashfield et de lui conseiller de revenir lorsqu’il l’aurait lu. Seulement alors, l’offense serait lavée.
Elle posa sa plume avec une lenteur théâtrale en fermant les yeux quelques secondes. Quand elle les rouvrit, elle trouva le regard sincère d’Alec et elle ne pus que se radoucir. Elle lui désigna le beau fauteuil français d’époque Louis XVI devant son bureau pour l’inviter à s’asseoir dans l’intention de l’éconduire poliment. Soudain, revisionnant dans sa tête l’introduction du jeune homme, elle se pétrifia. « Pam-Annda »… Il l’avait appelé par son prénom. Personne, non, personne au monde, ne l’avait jamais fait. Aussi loin qu’elle s’en souvienne. Ni ses parents, ni son grand-père, ni ses oncles et tantes ou même les cousins de son âge. On lui donnait du « ma fille » ou du « Mademoiselle » mais jamais personne ne prononçait son prénom sans l’adjoindre à son nom de famille. Elle se surprit à l’apprécier, comme si elle l’entendait pour la première fois et cet évènement changeant tout.
La Mangemort braqua ses deux émeraudes sur Alec pendant qu’il prenait docilement place en face d’elle pour l’étudier. C’était un beau jeune homme bien bâti. Pour autant que pus en juger Pam-Annda, il devait s’attirer les minauderies des filles à Poudlard. Elle se prit alors à faire un parallèle entre elle et lui : le Destin l’avait bien loti et on avait organisé ce rendez-vous à son insu. Mais l’élément le plus important qu’il avait en commun était tout autre… C’était cet éclat spécial tout au fond du regard que ne peuvent reconnaître que ceux qui l’ont également. Cet éclat qui témoigne d’une tristesse incompréhensible pour la plupart des gens. « Je suis plus puissant que ce que je parais et pourtant, même si je voudrais me persuader que c’est le cas, je ne décide pas de ma vie. » Voilà ce qu’il semblait dire. Elle sentit alors naître au fond d’elle un désir inédit : le besoin de le protéger ou du moins, de ne pas le laisser seul là où l’avait été.
Pam-Annda sortit de sa transe quand Polly lui demander s’elle devait apporter quelque chose à boire. Sa maîtresse l’envoya chercher deux verres d’un hydromel très rare et très coûteux, puis reporta son attention sur son visiteur. Il était temps de parler :

_ « Soyez le bienvenu au Manoir Ashfield et, vous pouvez me croire, ce n’est pas là une simple formule de courtoisie. Personne n’est généralement le bienvenu entre ses murs. »

Elle ferma le dossier devant elle pour poser ses mains blanches sur le sous-main en cuir brun.

_ « Vous m’apprenez qu’on vous a fait la même impolitesse qu’à moi en convenant de cette rencontre sans vous avoir consulter au préalable. Je vais annihiler une partie du préjudice en vous révéler les informations minima à connaître et j’oublierai aussitôt l’ignorance honteuse que vous avez avouée en entrant dans cette pièce. »

La jeune femme esquissa un demi-sourire encourageant et poursuivit :

_ « Je m’appelle Pam-Annda Pénombre Narcissa Ashfield. Je suis née de l’alliance de Lord Fedric Ashfield et de Lady Brix de Ventadour. Vous vous trouvez actuellement dans notre résidence principale dans laquelle vécurent toutes les générations de Ashfield aussi loin que l’Histoire peut s’en souvenir. »

Puis, elle lança son premier test pour observer sa réaction :

_ « Notre nom est connu et craint dans le Monde de la Magie parce que mon arrière-grand-père, Arjun Ashfield, fut le terrible bras droit du Seigneur des Ténèbres. Beaucoup de personnes pensent que les Ashfield continuent d’être ses serviteurs aujourd’hui encore… »

Polly revint avec un plateau trop lourd pour ses petits bras d’elfe et eut le plus grand mal à le poser sur le guéridon. D’ordinaire, Pam-Annda l’aurait remercié mais là elle ne le fit pas, sans doute pour affirmer l’air impitoyable qu’elle voulait prendre devant son visiteur. L’elfe ne s’en formalisa pas. La jeune femme se leva de son fauteuil accompagnée par le discret frottement de sa robe de velours sur son corps parfait et approcha de sa démarche féline. Elle prit un verre et le tendit à Alec.

_ « Voilà à présent ce que l’on m’a dit de vous. Votre oncle Alesius est un bon ami de mon père. Vous êtes en dernière année à Poudlard dans la Maison de Serpentard et vous aspirez à plus. Peut-être à apprendre certaines choses qu’une école de jeunes sorciers ne jugeraient pas bons… Dîtes-moi quelle est la part de vérité dans ce récit trop succinct et complétez-le par les informations que vous jugerez dignes de mon intérêt. Je verrai ensuite s’il y a une chance que je puisse surpasser ma nature profondément solitaire pour apporter ma contribution à votre ambition, si elle est bien celle que l’on m’a dite. »

Pam-Annda resta totalement impassible quand il lui posa LA question. Elle se contenta de le fixer de yeux d'émeraude impénétrables. Elle ne fut pas surprise de l'entendre s'excuser quelques secondes plus tard. En revanche, sa rétractation l'interloqua bien qu'elle n'en laissa rien paraitre. Quel petit insolent ! Intérieurement, la jeune femme bouillait de colere. Elle but une petite gorgée de l'hydromel avec classe sans quitter le Serpentard des yeux. En temps normal, elle aurait appelé Polly et lui aurait ordonné de reconduire ce jeune homme jusqu'à la porte. Après tout, elle n'avait aucune raison d'accepter. Elle ne voulait pas s'encombrer d'un élève, meme pas pour faire plaisir à son père. Elle ne connaissait pas Alec et n'avait aucun moyen de s'assurer de sa fiabilité, car si elle devenait son professeur, il ne manquerait pas d'apprendre des choses sur elle que pour sa propre sécurité il valait mieux que tous ignorent.
Et d'abord, qui lui avait dit qu'elle était Mangemort ?! Son pere lui avait promis qu'il n'en parlerait pas. S'il l'avait dit a Alesius, il mériterait une punition exemplaire pour lui passer l'envie de recommencer... Pour Alex, elle decida d'etre vague :

_ C'est une question d'orgueil. Lorsque tout votre entourage vous répète que vous etes exceptionnelle, lorsque vous avez les meilleures notes de l'école et que vous etes contactée par tous les Ministères qui essayent de vous avoir dans leurs bureaux, vous perdrez votre humilité. J'imagine que je cherchais quelqu'un d'extraordinaire qui ne sollicitait pas mon aide...

La poupée blonde posa sa coupe sur le bureau en poussant un discret soupir. Cette confession lui avait couté. Elle reprit apres un moment :

_ Il est certain que je pourrais t'apprendre des choses dont tu ignores meme l'existence. Des choses qui ne sont écrites dans aucun livre.

Elle fit quelques pas a travers la piece, avantageant sa silhouette parfaite avec la mouvance du tissu de sa longue robe.

_ Je me moque infiniment de ce que veut ton oncle pour toi. Je veux savoir ce que tu veux toi. Je pense que tu as accepté de venir par devoir envers lui mais dis-moi, y a-t-il une raison qui fait que tu restes dans cette pièce ?

Pam-Annda observait le jeune homme pendant qu'il réfléchissait à la réponse qu'il voulait lui donner. Pourquoi pouvait-il soutenir son regard qui donnait tant de sueurs froides à ceux qui devaient l'affronter ? Pire, pourquoi le cherchait-il ? Même Fedric lui-même évitait de croiser les émeraudes perçantes de sa fille. Alec effleura ses propres lèvres et la jeune femme suivit son mouvement des yeux. Un frisson lui parcourut l'échine. Celui-ci s'intensifia lorsqu'il lui révéla son désir ultime. Surpasser le Seigneur des Ténèbres. Se rendait-il compte du danger que présentait cet aveu fait à un de ses plus fervants serviteurs ? Oui, sans aucun doute.

Pam-Annda déposa sa coupe d'hydromel sur le bureau et s'approcha de la fenêtre. La lumière du jour encore faible se jeta sur sa peau d'ivoire pour la faire scintiller comme du diamant. Sa décision était prise. Quoi qu'il ajoute ensuite, rien n'y changerait. Elle pensa un instant à lui faire faire le serment inviolable pour s'assurer définitivement de sa discrétion mais elle abandonna l'idée pour le moment.

La mangemort s'arracha à la contemplation du paysage et se tourna vers Alec qui s'était levé de son fauteuil. Elle s'approcha de lui de sa démarche gracieuse et silence. Quand elle fut à bonnes distances, elle lui adressa un de ses sourires involontairement charmants qui faisaient des ravages chez la gente masculine et lui tendit sa main gauche non-gantée.

_ "L'accord est conclu."