Les regrets sont inutiles (Pv)

Le temps est sec, froid. Assise sur l’un des bancs de la place de Pré-Au-Lard, Ewie Boleyn regarde fixement le ciel, le sourire aux lèvres. Ledit ciel est blanc, laiteux, présage d’un mauvais jour. Ewie n’aime pas les journées longues, froides et maussades. Surtout lorsqu’elle se trouve hors du château, ce qui est plus que rare. Exceptionnelles sont ses sorties puisqu’elle n’a rien à faire ailleurs qu’à Poudlard. Ce qui est triste pour certains, mais elle aime ce qu’elle fait. Ses cours, le Quidditch, et c’est tout. Oh, bien sûr, il y a quantité de choses à faire à Poudlard. Mais elle n’aime pas ça. Ou, plutôt, elle n’aime plus ça. Sortir entre amis, se balader dans le parc du château, prendre le thé aux Trois Balais est devenu banal, inutile, ennuyeux. Faire ça seule n’était déjà pas très intéressant avant, alors maintenant…

Ewie est seule, désespérément seule. Elle sait qu’elle n’a plus rien à attendre de certaines personnes. C’est dommage. Mais la vie est ainsi, n’est-ce pas ? Faîte de déception, et de regrets amers. De regrets ? Non, la jeune fille ne regrette rien. Ou peut-être si, de n’avoir pas vécu certains moments à fond. Enfin, tant pis. On ne revient pas en arrière, pas encore. Elle regarde le ciel. Et sourit. A quoi bon regretter, sauf pour se tourmenter l’esprit ? Ewie a déjà eu assez mal.

Une nuée de petits oiseaux passe dans le ciel blanc, et la Serdaigle baisse la tête sur la rue. Bondée, comme d’habitude, d’élèves braillards. Hm, Ewie a toujours eu du mal avec le bruit. Lorsqu’elle était enfant, la jeune n’est jamais allée à l’école, comme les autres. Elle se contentait d’apprendre, avec son précepteur. Monsieur Charles, c’était ainsi qu’il fallait l’appeler. Il avait la quarantaine, était petit et fluet. Un binocle reposait sur l’arête de son nez. Il y avait dans ses yeux une lueur d’intelligence qu’ont les gens de lettres passionnés par leur travail. Il était de ceux-là. Ewie l’aimait bien, à l’époque. Ewie a toujours aimé beaucoup de monde. A tort.

Elle se lève, contrariée par ses pensées divagantes. Le temps n’est pas au regret mais elle n’arrive pas à se le rentrer dans la tête. Il faut bien, pourtant. Il faut continuer à avancer, la tête haute et avec le sourire. Le sourire.. Ewie ne le quitte jamais. Il est son arme la plus sûre pour déjouer l’attention de ses proches. Qui a envie d’asticoter quelqu’un qui sourit ? Personne. Alors on la laisse tranquille et seule. Ewie traverse la rue et entre aux Trois Balais. Elle tourne légèrement la tête. Non, elle n’a aperçu personne et pourtant, la Serdaigle est persuadée d’avoir croisé plusieurs fois sans s’en rendre compte le regard de quelqu’un avant d’entrer. Finalement, elle entre. La chaleur et l’odeur reconnaissable des Trois Balais étirent un peu plus son sourire déjà bien grand. Façade débile qui cache trop de choses. Il la perdra, un jour prochain.

Ewie s’asseoie dans le fond de la salle, seule. Elle déboutonne son manteau rouge et pose son menton dans ses paumes. Le contact de l’air chaud avec sa peau la fait frissonner. Elle ferme les yeux, bercée par le brouhaha presque mélodieux du bar. Elle attend. Oui, mais, quoi ?

La porte s'ouvre, se referme brièvement. Se rouvre, se referme. Ainsi va le manège lancinant des Trois Balais. Ewie ouvre à demi les paupières, regarde les arrivants, referme les yeux. Les autres ne l'intéressent pas, pas aujourd'hui. Aujourd'hui, la Serdaigle se veut égoïste et sensible. Sensible, oui, mais à quoi donc ? A ses propres sentiments, plutôt qu'à ceux des autres. Au fond, elle a toujours été comme ça. Avec qui pouvait-elle se montrer généreuse et attentionnée, sinon elle-même ? Tout ça est de la faute de George.

En pensant à son père adoptif, elle soupire. Discrètement, pour ne pas attirer l'attention. Les représentants du sexe masculin ont, aux Trois Balais, la fâcheuse habitude de croire toute jeune fille pas très repoussante et mélancolique, prête à tout pour finir dans leur lit. Ewie n'est pas comme ça. Et si par malheur, une certaine personne agissait ainsi, eh bien, elle le repousserait. Le passé est le passé, les regrets sont pour les faibles. Est-elle faible ?

Alors qu'elle réfléchit à ce fait plutôt étonnant, la porte du bar s'ouvre de nouveau. Cette fois, elle n'ouvre pas les yeux et se contente de frotter ses fines mains l'une contre l'autre. Il arrivait souvent à sa gouvernante, miss Spencer, de s'asseoir au piano se trouvant dans le petit salon et d'y jouer un morceau quelconque. Ewie adorait ces moments et aime encore à y repenser. Souvent, George se tenait appuyé contre le chambranle de la porte et la regardait. Maintenant, la jeune fille se demande si sa gouvernante, toujours polie et bien élevée, n'avait pas des sentiments pour son père adoptif. Mais tandis que le visage de Marshall se dessine dans son esprit, la rousse chasse de sa tête les tendres images d'une enfance solitaire et douce.

La dernière personne à être entrée s'assoit non loin d'elle, elle la sent passé. C'est un jeune homme, probablement un élève. Ewie ouvre subitement les paupières, croyant un instant reconnaître une fragrance, vestige d'une relation passée. Avec un gloussement discret, elle se rend compte qu'elle a raison. Jason est là, assis à quelques mètres d'elle. La Serdaigle l'observe du coin de l'oeil, n'ose pas s'approcher. Elle sait qu'il lui en veut. Mais peu importe ce qu'il ressent, elle existe, elle aussi. Ewie remarque qu'il a volontairement tourné la tête de l'autre côté, comme pour ne pas la voir. Elle fronce brièvement les sourcils et une légère ride se forme sur son front. Sourire, toujours et encore, ne pas montrer la vraie douleur. Sourire. Sourire. Sourire.

Enfin ses lèvres s'étirent, mécaniquement, comme un rituel assimilé depuis des mois. Elle se lève, secoue lègèrement ses cheveux et s'avance vers la table de son ex petit-ami. Ex, que de difficultés pour penser ce mot. Ex. Ewie serre les dents, sentant les larmes monter. Ne pas montrer la vraie douleur. Le passé est le passé.

« Tu m'évites maintenant ? », dit-elle avec un grand sourire, assez incongru pour la situation.

» Les fauteuils sont si confortables ! [OU]
» Quand vos larmes sont vos seules armes...(Fe)
» La nuit les chats sont gris....

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