Manoir Malefoy

Drago était installé dans l'un des grands fauteuils de style Renaissance de son salon. Le port de tête altier, il observait du coin de l'oeil son père qui faisait les cent pas sur le tapis hors de prix en crin d'abraxan tout en reprochant tout le malheur du monde à la coquetterie des femmes.
Enfin, la sienne apparut en haut de l'escalier en bois massif qui donnait sur la pièce qui avait contenu leur attente quinze minutes de plus que prévu. La voyant, le visage de Lucius perdit toute trace d'agacement et il se fendit en un sourire de satisfaction. Narcissa était ravissante dans sa robe fourreau noire, une étole de fourrure grise sur ses frêles et pâles épaules. Drago se leva, indifférent à cette entrée. Il avait revêtu son traditionnel costume : chemise blanche, pantalon et veste noirs, chaussures cirées impeccablement par les serviles elfes de maison. Il glissa une main dans sa poche et s'approcha avec nonchalance de la cheminée allumée. Il prit un petit pot en verre qui reposait sur la coudée, ôta avec précaution le bouchon en liège qui le fermait et se tourna vers ses parents qui l'avaient rejoint. Chacun prit une poignée de poudre de cheminette et la petite famille disparut dans l'âtre qui s'était tout de vert embrasé après avoir prononcé audiblement leur destination.



Domicile des Van Dorvan

Ils étaient à peine sortis de l'âtre d'arrivée qu'une voix tonitruante leur souhaita la bienvenue. Le maître des lieux en personne les accueillit, tendant galamment la main à Narcissa - qu'il appella « chère amie » - pour descendre la petite marche qui la séparait du parquet brillamment ciré pour l'occasion. Et quelle occasion ! Les Van Dorvan avait organisé un fastueux bal comme il s'en faisait dans les hautes sphères, histoire que les riches se congratulent de l'être tant et se moquent des pauvres qui faisaient légions.
Drago n'aimait pas vraiment ce genre de manifestations, même s'il prétendait le contraire pour faire comme tout le monde. Discourir sur d'incipides sujets en compagnie de sots ou de désargentés qui cherchaient à maintenir de bonnes relations tout en essayant de ne pas sombrer dans le pathos était épuisant. Ce soir plus que les autres soirs, il n'avait pas l'air du tout enclin à la miséricorde. Il n'avait pas envie de faire semblant, de rire aux blagues lourdes, de feindre de s'intéresser à la vie morne et vaine de ses semblables. En fait, il n'avait envie de rien.
Pendant qu'il suivait ses parents qui se faisaient accompagner jusqu'à la grande salle des festivités, le jeune homme poussa un long soupir qui en disait long sur la joie qu'il éprouvait à se trouver icelieu. Gâre à ceux qui croiseraient sa route ce soir, il ne serait pas de très bonne compagnie...

Heureusement, la première personne qui vint l'aborder fut peut-être l'une des rares qu'il appréciait : Blaise Zabini, son ancien camarade de Poudlard.

_ Salut Drago ! C'est bien que tu sois venu. J'avais peur de m'ennuyer.

Le blondinet le salua sobrement d'un vague signe de tête et embrassa la foule d'invités bien habillés du regard. Rien de bien intéressant.

_ Je ne suis pas certain que ma présence, si précieuse soit-elle, puisse enrichir ta soirée, marmonna-t-il en jetant à présent un oeil au buffet chargé de mets d'apparence alléchante.

Il ne vit pas le sourire qui se dessina sur les lèvres de Blaise.

Drago finissait son deuxième verre d'hydromel quand il fut plus ou moins discrètement pousser du coude par son ami Blaise.

_ Oh la la... Regarde la fille là-bas !

Un rapide coup d'oeil dans la direction indiquée et il repéra sans mal ce sur quoi l'ancien Serpentard voulait attirer son attention. Alors que les demoiselles de l'assistance avaient plutôt opté pour une robe longue tombant en cascade sur leurs pieds fins chaussés d'escarpins hors de prix et sans doute inconfortables, l'une d'elles avait décidé de se démarquer du lot - soit par provocation soit par goûts exubérants - et portait une robe vraiment très... très... comment dire ?... courte.
Drago trouvait sa tenue juste un peu trop osée pour être distinguée mais néanmoins très intéressante d'un point de vue purement masculin. Elle avait l'avantage de rendre bien visibles ses jambes fines et blanches. Le blondinet contracta sa mâchoire et détourna la tête en peignant un air las et désintéressé sur son visage.

_ Elle n'a pas froid aux yeux, commenta Blaise en riant doucement.

_ Ni ailleurs, ajouta son compère en se blâmant intérieurement de jouer au petit macho qu'il ne serait jamais.


Quelques minutes plus tard, Drago tenait tête à deux crétins qui lui cherchaient des faiblesses. Le fils du Maître des lieux, un sombre idiot du nom d'Eleazar Van Dorvan, avait commis l'erreur de se moquer de la suprématie des Malefoy dans le monde de ce qu'il avait appelé "le monde des mages noirs", pour ne pas avoir à prononcer le mot "mangemort" devant les convives qui l'écoutaient en silence. Il s'était trouvé que le fils de sa cible s'était trouvée dans son dos au moment où il avait commis son sacrilège... A présent, les oreilles indiscrètes s'étaient éloignées et les deux jeunes hommes en étaient là :

_ Il n'est rien au monde qu'un Malefoy ne puisse pas faire, Van Dorvan.

_ Ah oui ? rétorqua Eleazar qui avait retrouvé un peu d'aplomb après s'être brièvement déconfit en découvrant le blondinet derrière lui. Tu prétends donc que les Malefoy sont capables de tout ?

_ De tout, confirma férocement Drago en le snobant.

_ De tout ce qui machiavéliquement possible de faire ?

_ Et plus encore ! Mais je sais bien que ton cerveau n'a pas la capacité de se figurer l'étendue de notre pouvoir alors je vais t'abandonner à ta bêtise pour cette fois.

Ce disant, le jeune homme commençait déjà s'éloigner. Il fut retenu par ces mots :

_ Prouve-le.

Se retournant sur Eleazar, Drago eut un moue de dédain.

_ Pourquoi est-ce que je perdrais mon temps à te prouver quelque chose à toi ? Je me moque comme d'une guigne de ton opinion.

Son hôte dut lui concéder au moins ça. Il ne faisait en effet aucun doute que son invité n'avait que du mépris pour lui. Cependant, il savait où attaquer pour le faire réagir favorablement à sa demande.

_ Ni toi ni moi n'avons mieux à faire pour l'heure. Ne mens pas, je te vois tourner en rond depuis une heure, toi et ton horrible coupe de cheveux.

Drago fronça les sourcils et passa avec désinvolture une main dans sa chevelure d'un blond-blanc unique. Peuh ! Elle était très bien sa coupe de cheveux.

_ Si tu ne veux pas le prouver, c'est surtout parce que tu as peur de ne pas y arriver à mon avis, le provoqua ouvertement son adversaire.

Comme des curieux commençaient à s'intéresser à leur petite scène, Drago rejoignit Eleazar pour qu'ils puissent se parler à voix basse. Il l'attrapa par le bras et le tira un peu à l'écart, près d'une fenêtre à moitié cachée par d'épais rideaux de velours pourpre.

_ Je vais te lancer un petit défi, si tu échoues, je pourrais te lancer discrètement un sortilège de crache-limaces au milieu de la piste de danse.

Rien que son évocation donna un haut-le-coeur au jeune homme. Levant un peu plus dignement le menton, il demanda :

_ Et si je réussis ?

Eleazar ricana doucement.

_ En admettant que tu réussisses, disons que je ne tarirai pas d'éloges faussement sincères sur toi pendant un mois.

_ Deux mois.

_ Deux, c'est trop.

_ Il y a une minute, tu étais sûr de gagner...

L'hôte grinça des dents. Piégé à son propre jeu.

_ Va pour deux mois.

Un sourire de satisfaction se ménaga une place sur les fines lèbres tentatrices de Drago et il déboutonna avec décontraction un bouton du haut de sa chemise. Les choses sérieuses allaient commencer. Il se demandait bien ce que ce crétin de Van Dorvan allait bien lui donner à faire.

_ Tu vois la fille là-bas ?

Le jeune homme regarda discrètement dans la direction indiquée. Décidemment... C'était la blondinette que lui avait montré Blaise il y a à peine un quart d'heure. Il hocha simplement la tête en guise d'assentiment et fixa son regard sur la tapisserie dans le fond de la pièce.

_ Je parie que tu n'es pas capable de la séduire puis de la ridiculiser avant de la planter comme une cruche à la vue de tous.

Drago battit des cils quelques secondes. Il n'était pas certain d'avoir bien compris ce qu'il lui demandait. En tentant de garder une certaine constance, il lui glissa :

_ C'est trop facile ce que tu me demandes. Je n'aurais même pas de plaisir à jouer, mentit-il, mal de toutes manières.

_ Je ne te crois pas. J'ai entendu des choses sur toi, Malefoy-le-fils. On dit que tu ne serai pas assez cruel pour être un... tu-sais-quoi [comprendre "Mangemort"]. Je veux vérifier que tu sois capable d'une épreuve aussi triviale pour un vrai tu-sais-quoi.

_ C'est vraiment ridicule ! s'énerva Drago en fulminant.

Eleazar eut l'air de se délecter de le voir dans cet état. Le bout de ses oreilles était légèrement rouges.

_ Ca veut dire que tu abandonnes ?

Le blondinet le fixa longuement en le maudissant intérieurement. Finalement, il se redressa dignement et lâcha d'un ton sec :

_ Commence à préparer ton éloge sur moi !

Sur ces mots, il s'éloigna. Toutefois, il n'allait pas tout de go vers la mystérieuse demoiselle. Non. Avant, il lui fallait mettre au point une technique d'approche. Il avait déjà vu cette fille quelque part mais il ignorait son nom ; ça partait mal. Finalement, fatigué de tourner en rond, il s'arrangea pour arriver à sa hauteur pr hasard et engagea tout naturellement la conversation :

_ Bonsoir. Je m'appelle Drago Malefoy, mais j'imagine que tu le sais déjà.

Belle introduction auto-sabotée. Bravo, petit ! L'écho de son soupçon d'arrogance lui revint aux oreilles et il esquissa un petit sourire en coin, comme pour s'excuser.

_ Comment est-ce que tu t'appelles ?

Leçon n°1 : faire croire à la cible qu'on s'intéresse à elle. Jouer les Don Juan n'avait jamais été le fort de Drago, malgré son physique plutôt avantageux. Il était partisan du moindre effort et préférait généralement que ce soient les filles qui le courtisent. Aussi, son entreprise de ce soir ne manquerait pas de lui faire commettre quelques maladresses...
L'inconnue était vraiment charmante. Son visage de poupée semblait tout étonné de s'être fait aborder. Le coeur de Drago se serra.