Voilà ma participation. C'est moins bon que désiré mais j'ai pas voulu trop tarder.
( Voix grave, traînante et beuglante)
Saaalut ! Je m’appelle Marguerite. Oui, c’est moi, là, cette belle gonzesse brune au milieu du pré. Je sais, je suis vache… et une vache qui parle c’est pas courant. Je suis vache aussi sous d’autres dehors, vous allez pouvoir en juger avant peu.
Je suis née il y a 1 an dans l’étable de mon maître César Rienne. Ma pauvre mère n’a pas survécu à la mise bas assez sanglante que ce tyran lui imposa. J’ai pas connu papa mais beaucoup de mères nourricières. C’est pas le pis, je vous jure ! Il y avait tant de trayons à disposition que, tout gosse, je savais déjà plus à quel sein saint me vouer.
Je tâtai goulûment à toutes ces mamelles généreuses que l’on me présentait gracieusement. AHHH, la vie était belle. On ne me demandait rien d’autre que de grossir rapidement. Mon maître m’aimait bien ; il nous aime toutes d’ailleurs puisque, à peine née, on reçoit un charmant piercing dans l’oreille : quel beau cadeau.
Gambader dehors quand il fait beau, téter à qui mieux mieux, jouer avec les poulettes ou les porcelets, c’était chouette.
A force de voir mes mères arracher de l’herbe avant de s’étendre pour la remâchouiller, je me mis dans l’idée de goûter à ce truc sur lequel on marchait. Ma première tentative s’avéra désastreuse, je recrachai le tout, le maître fut fâché. Je ne savais pas encore parler à l’époque et n’ai donc su demander pourquoi à personne. Néanmoins, une voisine attentive me renseigna un peu : « tu sauras plus tard. »
Effectivement, quand enfin je sus articuler et comprendre des phrases, César Rienne m’écarta du lot des « grandes » pour me mener à une série de mangeoires différentes. Il y en avait avec de l’herbe verte, d’autres avec des végétaux roses, bruns ou blancs.
Choisis me dit le patron.
Je m’approchai et humai de mon mufle doux et rose les parfum dégagés par ces récipients.
L’herbe verte m’écœura aussitôt, je reculai vivement.
Ah ! T’aime pas ? J’aurais dû m’en douter. Essaye l’autre.D’un naturel confiant, j’obéis et posai mes narines au-dessus du fourrage rose.
Beeuuurk ! ne pus-je m’empêcher de meugler en me détournant.
Je sentis mon pelage se couvrir de petites pustules irritantes :
Qu’est-ce que j’ai ? gémis-je
Tu es allergique aux fraises, soupira César. Goûte la brune !Je me méfiai, cette fois. Pourtant, l’odeur était vraiment alléchante. Tellement même que je trempai la gueule entière dans ce mélange brunâtre pour m’en régaler. C’était un pur délice. J’aurais voulu manger toute l’auge mais mon maître me flatta le flanc :
Très bien ! Dorénavant, tu quittes la nursery pour le champ du chocolat. Les adieux à mes mères, tantes et cousines furent déchirant. Je n’étais pas la seule en ce cas, toutes les filles de mon âge subissaient un changement de décor. Je n’eus que deux copines avec moi ; il paraît que le chocolat avait la cote d’or mais que rares étaient les élues qui y avaient droit.
Je fus malade dans le camion qui nous transporta à travers des champs de toutes les couleurs, faut dire que l’on y était serrée comme des brins de pailles dans la meule.
On nous débarqua assez gentiment pour nous lâcher dans un pré où l’herbe avait la couleur et le parfum inimitable du cacao. Wahou ! Je fis un festin de reine des prés ce jour-là. Il y avait d’autres copines mais elles semblaient assez blasées pour nous accueillir dignement.
Le soir tombant, nous nous sommes rassemblées autour d’un bouquet d’arbres où nous avons papoté avant de nous endormir. Enfin… elles s’endormirent, pas moi. Car ce que j’appris m’effraya beaucoup : au matin des hommes viendraient nous faire… des choses !
Je ruminai toute la nuit sur ces paroles. Des choses ? Quelles choses ?
L’aube se pointa sur ma carcasse pantelante d’insomnie. Le bruit d’un camion m’alerta, je meuglai, paniquée :
Ils arrivent !Je m’attendais à une débandade… ben non ! Sagement, mes sœurs s’éveillèrent et se dirigèrent à la rencontre des hommes qui portaient d’étranges instruments.
Ce que je vis m’horrifia. Ces humains posaient ces choses métalliques sur… nos, enfin, les… vous comprenez. Ils agitèrent leur baguette et les « machines » se mirent à pomper un lait chocolaté recueilli aussitôt dans des bidons métalliques. En aucun cas, je ne voulais que l’on tripote mon intimité. Lorsque l’humain essaya de me fixer son truc, Pan ! Un coup de sabot dans la rotule. Houla ! Pas content le bonhomme. Il brandit sa baguette sur moi, un autre humain s’interposa :
Pas de sort sur les vaches, ça fait tourner le lait. Elle est toute jeune, elle finira par comprendre que la traite lui fera du bien.C’était donc ça ! La traite des blanches… mais j’étais brune, moi. Je pigeais pas.
On ne m’ennuya plus, c’était déjà ça. Les jours se succédèrent au même rythme : matin et soir, les hommes venaient réclamer leur lot de chocolat. Moi, j’en donnais toujours pas. Je refusais obstinément que l’on manipule mes trayons, non mais !
Au bout de huit jours, un des hommes dit :
Celle-là est sèche ! Tant pis pour elle, elle finira en saucisses. Mes copines me supplièrent de donner du lait. Je haussai des épaules, inconsciente du sort qui m’était réservé en cas d’improductivité.
Mais le camion revint et l’on m’y fourra malgré mes meuglements de protestation.
Qu’ils sont bêtes, ces humains. Ils croyaient me soumettre, me mener à l’abattoir sans rébellion ? Quelques coups de sabots dans la porte et je sus m’échapper. Voilà pourquoi je suis là, dans ce champ brun à vous raconter mon histoire. Je me confonds si bien avec le paysage qu’ils ne me trouveront pas de sitôt. Là-dessus, je vous laisse, il y a ici quelques herbes qui n’attendent que moi !