Par un pur hasard, alors qu’il traînait sans but précis, Davenport le repéra. Son flair ne pouvait le tromper, cet homme courtaud qui regardait évasivement la vitrine d’accessoires de Quidditch ne lui était pas inconnu : un Mangemort.
L’idée première de Justin fut de l’alpaguer vite fait. Tout compte fait, si un Mangemort se baladait ainsi, peut-être le conduirait-il à un nid de vermines ? L’Auror se renfonça dans une encoignure et patienta. Peu après, la cible bougea, Justin lui emboîta le pas. Un sentiment désagréable l’étreignit lorsqu’il vit son gibier se diriger vers l’Allée des Embrumes. Il n’était jamais bon d’être Auror isolé en ce lieu mal famé.
N’écoutant que sa curiosité, Davenport continua la traque. Le Mangemort semblait à cent lieues de se douter d’avoir une baguette pointée dans son dos. Il se déplaçait lentement, sans but apparent. La boutique des célèbres Barjow et Beurk fut dépassée sans un regard ; l’homme trapu s’engageait dans une des nombreuses ruelles débouchant sur l’allée principale.
Justin se sentait de plus en plus mal à l’aise. Les gens qu’ils croisaient lui jetaient des regards torves, lourds de menaces rentrées.

* Davenport, tu es un idiot ! ça ressemble de plus en plus à un traquenard.*

De chasseur, il pensa être devenu proie et la suite devait, hélas lui donner raison.
Un ricanement mauvais retentit dans son dos :

Bonne pêche, lança une voix à l’adresse de l’homme de tête qui se retouran le visage grossier fendu d’un pli ironique.

Justin était coincé entre deux feux. S’il visait celui de front, l’autre ne le raterait pas. Seule échappatoire : la fuite. A moins de…
Il n’eut pas à envisager d’autre solution qu’un grondement féroce emplit la ruelle. Quelqu’un hurla et Davenport reçut un choc épouvantablement violent dans les reins. Il bascula en avant. Sa tête heurta le sol avec un bruit mat. Un voile noir s’abattit sur lui.

Cet homme était fou ou quoi? Nate n'avait pas manqué de remarquer quand le jeune homme, un Auror entrevu une ou deux fois, s'engagea dans l'Allée des Embrumes, à la suite de l'homme qu'elle même avait dans la mire depuis quelques jours. Sans le penser deux fois, Nate leur emboîta le pas, à prudente distance.

Elle savait ,à bon scient, qu'on ne s'engage jamais seul dans un endroit pareil. Pour un Auror ou un Membre de l'ordre solitaire, l'Allée des Embrumes pouvait signifier un très mauvais quart d'heure, dans le meilleur des cas...la mort, dans la plupart.
Un frisson lui courut le dos, mélange de crainte mais aussi d'impatience...l'action l'attirait comme la lumière un papillon.

*Cet auror est borné, ma parole...il ne se rend pas compte ou quoi?...*

D'où elle était, la néo-zélandaise voyait bien le traquenard qui se préparait. L'homme suivi n'était que l'appât. Elle aurait dû le savoir. Cet imprudent serait le plat fort du festin, si les Mangemorts le prenaient.

Pas le temps de penser...deux secondes plus tard, le grand doberman noir fonçait sur sa proie avec un grondement féroce, en montrant ses crocs étincelants. On hurla...l'animal atterrit violemment sur l'auror, le plaquant à terre.

Il devait avoir reçu un coup sur la tête. Le fait est que l'auror gisait entre les pattes du doberman, assommé. L'instinct guidant ses gestes, l'animal procéda à lécher généreusement le visage de l'homme évanoui, dans l'espoir de le ranimer...

Des cloches sonnaient ? Etrange. Davenport se crut sur un navire en pleine tempête, il recevait des paquets d’eau de mer en pleine figure. Réflexion faite… De l’eau ? Ouvrant brutalement les yeux, Justin se trouva nez à nez avec la truffe humide d’un molosse qui lui léchait gaillardement la figure. Beurk ! C’était collant, dégoûtant. La tête dans un étau, il repoussa l’animal :

Arrête ça ! Fous le camp !

Il s’assit sur son séant et se massa les tempes. Une belle bosse commençait à se former au-dessus de l’oreille ; un peu de sang suintait.

Une voix féminine assez rude l’interpella ; Justin se crut en proie à une hallucination : le chien parlait !
Il secoua la tête, ce qui aviva ses maux. Grimaçant, il se frotta soudain les yeux sous la surprise. Là, tout près de lui, le Doberman se métamorphosait en… jeune fille.

Qu’est-ce que vous fichez là ? C’est vous qui m’avez flanqué par terre ? gronda-t-il, fâché.

Cela lui rappela que deux ennemis rodaient, il pointa sa baguette dans un mouvement circulaire au cas où. La jeune femme aux cheveux cuivrés émit une remarque sarcastique qui exacerba Davenport.

Comment ça, en fuite ? Selon vous, je vous dois la vie ? Eh bien merci de m’avoir fendu le crâne pour me rendre service.

Mr Davenport n’avait pas l’habitude d’être redevable d’une faveur quelconque, surtout venant d’une femme. Entre potes, c’est différent, mais là… Malgré que les circonstances lui donnaient tort, il soutint mordicus son bon droit. Il était mécontent de s’être comporté comme un imbécile mais ne le reconnaîtrait pas facilement, préférant jouer les offensés et en rendre responsable la demoiselle.

Il se releva en époussetant sa robe :

Regardez dans quel état vous m’avez mis, un beau gâchis.

Alors là… de sa vie jamais Davenport n’avait été confronté à une péronnelle de cet acabit. D’une vulgarité inacceptable, non seulement elle l’avait assommé, souillé, rincé, séché et maintenant elle se foutait positivement de sa poire. Oui, la robe de Justin fumait. Pas seulement à cause du sortilège très cuisant qu’avait jugé bon cette impertinente de lui lancer mais par la rage fulminante qui le consumait.
Rire aux dépens d’un Davenport est très risqué. D’un naturel blagueur, Justin pouvait se montrer fort retord.

Vous désirez que je bouge mon c**, belle enfant ? A votre service, Miss.

Avant que la jeune femme ait pu prévoir son geste, Justin l’avait saisie au poignet. D’un vif mouvement tournant, il l’entraîna dans un transplanage dément. Matérialisés sur les berges d’une mare fangeuse où les grenouilles abondaient, Davenport se débarrassa de la fille en l’expédiant coasser avec les batraciens.

Peut-être qu’avaler un peu de boue châtiera votre langage, Miss.

Il allait partir d’un éclat de rire mauvais à la vue du triste spectacle qu’offrait la donzelle embourbée jusqu’à la taille et crottée des pieds à la tête, lorsque quelque chose d’indéfinissable l’arrêta.
Malgré le venin du regard posé sur lui, Justin crut y discerner comme un éclat… peiné.
En un instant, la raison lui revint.

* Bougre d’imbécile, mais qu’est-ce que tu fabriques ?*

Sans souci de maculer son habit, Justin entra vivement dans la mare.

Je suis désolé, bredouilla-t-il navré en accostant la jeune fille. Je vais réparer ça.

Sous la gadoue, il fouilla sa poche et en sortit un mouchoir fatalement aussi souillé que le visage qu’il désirait essuyer. Il regarda tour à tour la fille et le linge, le rouge de la confusion lui montant au front.

Euh… Ce n’est pas très adapté. Donnez-moi la main, qu’on sorte de là… S’il vous plaît.

Il était prêt à en entendre à nouveau des vertes et des pas mûres. Cependant, contre toute attente, ce fut un rire clair et frais qui s’éleva au-dessus du chant des grenouilles. La scène, en vérité, ne manquait pas de piquant. Davenport, d’embarrassé, devint amusé. Le rire était trop communicatif pour y résister.
Par chance, aucun sbire du département psychiatrique de Ste Mangouste ne passait par là. Justin et la jeune fille se seraient fait embarquer illico. Entre deux éclats, l’Auror parvint à hoqueter en s’inclinant légèrement :

Justin Davenport, pour vous servir, Miss... ?

Sans s'encombrer d'autres circonvolutions maniérées, Justin la guida jusqu'à la cuisine. Nate n'était sûrement pas une femme d'intérieur mais ne put éviter de pousser une exclamation surprise en découvrant cet endroit parfait...là, elle pourrait même prendre plaisir à l'art de la bonne cuisine.

Mais le décor n'était pas tout, il fallait aussi le talent et là...Nate devait s'avouer nulle. Elle passa le tablier que lui tendait son hôte et le vit en revêtir un semblable. Sympathique, l'auror déguisé en cuistot! La jeune femme n'avait aucun inconvénient pour aider mais là encore ce fut un raté total...couper menu des truffes devait être un art raffiné , trop pour Nate qui éminça son doigt en passant. Le couteau que lui avait fourni Justin pour cela était aussi affilé qu'un bistouri.

Aïe! Je crois que mon doigt n'entre pas dans la recette!

Il lui adressa un sourire plein de compréhension et après un Episkey lui révéla le sortilège destiné à faire que le couteau s'en sorte tout seul ...fallait encore savoir le guider adroitement. Nate ne fut pas trop satisfaite du résultat...les truffes ressemblaient à une purée d'aspect assez dégoûtant.
Galant jusqu'au bout des ongles, M. Davenport ne fit aucun commentaire et ajouta la chose au mélange mousseux qu'il avait suprêmement réussi. Au moins lui, il savait parfaitement que faire.
Quelques indications plus tard, elle se trouva en train de surveiller la cuisson de l'omelette.

Tout allait très bien jusqu'au moment où le poêlon, sur lequel il travaillait, entreprit un gracieux vol plané et alla s'écraser conte le mur.
Elle pouvait ignorer beaucoup de choses quant à l'art de la haute cuisine mais était absolument sûre que fracasser la sauce contre le mur n' en était aucune. En fait Justin Davenport semblait furieux. Elle faillit laisser échapper un commentaire mais s'abstint à temps. Le moment n'était pas aux blagues. Un Evanesco bien appliqué fit disparaître toute trace de la saute d'humeur.

Je déteste quand ça rate, pardon de vous avoir effrayée.

*Morale de l'histoire...ne jamais se trouver dans la trajectoire d'un poêlon quand le cuistot est un caractériel!*

Oh, pas du tout...je pensais que cela faisait partie de la cérémonie d'initiation, elle lui offrit un charmant sourire candide, je crois que l'omelette est prête!

Un perfectionniste...la table dressée d'un coup de baguette en était la preuve. Nappe blanche, vaisselle de porcelaine, couverts d'argent, coupes de cristal. Nate le regardait agir, sans rien dire , intéressée, sans plus, aux multiples facettes du jeune homme découvertes en peu d'heures.

Malgré le minable aspect des champignons l'omelette résulta délicieuse. Que dire du plat de résistance, les pintades cuites à point semblaient fondre dans sa bouche et la sauce, refaite avec sérénité, était un plaisir suprême pour le palais le plus exigeant.

Vous êtes un homme étonnant, M. Davenport...le premier anglais que je rencontre qui sache cuisiner de la sorte. Laissez moi deviner...en plus d'être sorcier et Auror, vous avez un diplôme de l'École de Haute Cuisine Française...vous êtes un véritable chef.

Accompagnant ses paroles d'un sourire désarmant, Nate but un peu de vin.

Je ne sais pas faire la cuisine mais j'adore la bonne table. Merci pour ce repas magnifique...je me demandais si ce ne serait trop abuser de votre gentillesse...mais après vous avoir vu à l'œuvre, l'envie m'est venue d'apprendre un peu de cet art...serait ce possible que vous me donniez quelques petites leçons? Je voudrais pouvoir épater ma famille en leur préparant un festin...voyez vous, mes sœurs sont des ménagères accomplies, ça me rend un peu envieuse de leurs réussites...

À peine fini de parler, Nate se dit qu'elle aurait mieux fait de se taire. Qu'allait il penser d'elle? Que ses paroles n'étaient que pour le flatter dans le but de qui sait...le séduire? Après tout, il avait tout pour attirer une femme, il serait habitué à ce genre de manœuvre.

Excusez moi, je n'aurais pas dû vous demander cela. Je suis parfois trop impulsive et cela me met dans des drôles de pétrins...je pense qu'il est plutôt temps de vous laisser en paix.

Se maudissant d'être si empotée, Nate repoussa sa chaise pour se lever.

Le dessert?...Mmmm! Nate avait un péché mignon et c'était être gourmande. Elle ne put pas empêcher l'éclat ravi de ses yeux. Si le dessert était de la qualité du reste du repas, Justin Davenport aurait trouvé en elle une admiratrice inconditionnelle... et même si c'était raté, elle ne se sentit pas le cœur pour le planter là...pourquoi un homme qui apparemment a tout, a un regard si triste et désenchanté?

C'est du chantage, j'adore les desserts. En fait, c'est terrible être si gourmande!

Il sourit, enchanté. Elle se rassit. Pas de déception possible. Quand elle vit Justin flamber les crêpes Suzette, elle battit des mains avec l'enthousiasme d'un enfant impatient.
Elle dégusta le somptueux dessert en fermant les yeux pour mieux se délecter de chaque bouchée.

Je n'ai jamais goûté quelque chose de plus délicieux...Vous êtes un véritable artiste, M. Davenport!...et...êtes vraiment sûr de vouloir me donner des cours de cuisine?

Comme il acquiesçait, elle sourit de nouveau en soupirant ravie.

Si je parviens tant soit à faire des œufs brouillés décents...je vous en serait redevable la vie entière...et j'ai une idée, ne pensez pas que je suis une folle sans remède...ça vous dirait d'aller faire un tour par là...si vous tenez à me raccompagner, ce qui est très gentil de votre part, je voudrais vous...

Par Merlin! Elle était en train d'aller trop loin. Même s'il la considérait avec un sourire patient, Justin Davenport devait penser qu'elle était une évaporée sans manières....mais puisqu'elle en était arrivée jusque là...

...inviter prendre un dernier verre dans un pub très sympathique près de chez moi...cette journée...a été si...enfin...vous me comprenez, elle fit une moue très expressive et plutôt comique, en plus je ne sais pas pourquoi...mais j'ai l'impression que vous devez vous sentir très seul dans cette immensité de maison...à moins que vous ne cachiez une Mme. Davenport et six enfants quelque part ...si c'est le cas, oubliez ma proposition...j'irai boire seule!

Une gourmande ! Justin fut ravi de l’apprendre aussi se surpassa-t-il dans la confection du dessert.
L’œil ravi de Nate l’enchanta. Elle revint encore sur ces cours de cuisine à lui distribuer, il confirma ses intentions.
Cette fois, elle se levait pour de bon tout en l’invitant à un dernier verre près de chez elle. Un dernier… avec tout ce qu’il avait déjà enfilé, Justin n’était plus à un près. La remarque de Miss Sommerby au sujet d’une Mrs Davenport et de six enfants cachés le firent tressaillir. Il en perdit son sourire quelques secondes mais se reprit très vite en affirmant d’un ton qui se voulait désinvolte :

Pas de Mrs Davenport, ni d’enfants, du reste.

Ils prirent une veste puis Justin laissa Nate diriger le transplanage sans lui demander l’adresse par discrétion.
Matérialisés dans une ruelle au cœur de Londres, la jeune femme guida Justin jusqu’à un pub à l’allure décontractée où une certaine animation régnait grâce à quelques noceurs. Une petite table reculée dans un coin les reçut, loin des joueurs de fléchettes ou de cartes.
La première tournée de Whisky commença. Toujours affable, Justin laissa Nate lui décrire sa vie dans le district de Whangarei. Elle parla de sa famille et du don qui sautait une génération sur deux, chez les filles. Ainsi elle conservait deux sœurs, ses parents, grands-parents et une grand tante ? Davenport l’envia. Il avoua être quasi seul au monde, ne possédant qu’une sœur avec laquelle il était brouillé depuis des années.

J’ai hérité de la fortune familiale. Vous voyez, je n’ai aucun mérite à être riche. Mon éducation a connu des lacunes faisant de moi un fat prétentieux. Si vous m’aviez connu à mon entrée à Poudlard…

Il rit en évoquant cette période où il avait appris à se dérider sous la houlette de son ami De Brent.
La conversation à bâtons rompus se prolongea comme dans le salon, chacun répliquant à l’autre sans regarder montre ou pendule. Justin buvait sec, plus que d’ordinaire, l’alcool lui déliant la langue et l’aidant à avouer des choses qu’ils auraient tues en étant sobre. Miss Sommerby levait gaiement le coude mais semblait beaucoup plus fraîche que Davenport qui, lui, avait une sérieuse avance.
Il voulut recommander une tournée, Nate l’en empêcha, le jugeant suffisamment éméché ainsi.

Vous avez parfaitement raison. Je vous reconduis à votre porte.

L’addition réglée, ils se levèrent. Justin parut tout surpris de devoir se raccrocher au dossier de son siège. Il pouffa :

J’en tiens une bonne ! ça va s’arranger.

Un peu pompette également quoique nettement plus lucide, Nate refusa qu’il transplane dans cet état et proposa de prendre du café chez elle.

Un litre, ça ira, affirma Justin en chaloupant entre les tables.

La remontée de la rue déclencha le rire du couple enivré. Qui supportait l’autre ? Difficile de juger dans ces bras emmêlés. Pratique, Nate appuya Justin contre l’encadrement de porte pendant qu’elle jouait de sa clé. Elle guida fermement Davenport vers un divan où elle le poussa avant de filer à la cuisine préparer du café très fort. Quelques minutes plus tard, portant un plateau garni, elle revint au salon pour y découvrir Justin affalé le nez dans les coussins. Endormi profondément, le jeune homme n’eut pas conscience d’être déchaussé et bordé gentiment.

Ah que s’était bon de s’étirer. Levant les bras au-dessus de la tête, béat, Justin poussa un soupir d’aise… qui se transforma en un couinement de surprise effarée.

Qu’est-ce que je fous là ? murmura-t-il, complètement perdu.

Peu à peu des limbes de souvenirs émergèrent. Il soupira encore, désabusé cette fois.
Se grattant vigoureusement le crâne, il se redressa. Pas de gueule de bois mais pas de trace de son hôtesse non plus car il ne douta pas avoir dormi chez Miss Sommerby.
En chaussettes, il partit en exploration. Trouver une salle de bains devenait pressant. Le rez-de-chaussée n’en possédait aucune et il n’osa pas s’aventure à l’étage que devait occuper son hôtesse. Il découvrit la cuisine dont une porte s’ouvrait sur un jardinet. Quelques mauvaises herbes reçurent un arrosage peu ordinaire mais dans l’urgence, on fait ce que l’on peut.
Rentré, il se lava les main à l’évier et se rinça copieusement le visage. Sa barbe naissante le démangeait à peine, il passa outre un sortilège de rasage. Tracassé par son inconduite, Justin n’entrevit qu’une solution pour se faire pardonner.
Avec sa dextérité coutumière, il prépara un plantureux petit déjeuner avec ce qui lui tomba sous la main. Le café passait doucement lorsqu’il perçut des bruits annonçant de la visite. Miss Sommerby, fraîche comme une rose dans sa robe de chambre, apparut dans l’encadrement de la porte.

Bonjour Nate ! Vous avez bien dormi ? Je suis… confus pour le dérangement. N’allez pas croire que j’aie pour habitude de…

Comme le rire de la demoiselle était doux à ses oreilles ! Elle lui assura qu’il n’y avait aucune honte à s’écrouler après une telle virée. Ses papilles alléchées par les divers fumets présentés à sa gourmandise, Nate s’attabla, sans façon. Tout en croquant un toast, Justin débita :

Je sais que je vais abuser de votre civilité mais qui ne tente rien, n’a rien. J’ignore à quel point vous pouvez être occupée ces prochains jours. Personnellement ( il piqua du nez vers ses œufs) je suis en congé toute cette semaine après une mission assez rude. Serait-ce très cavalier de ma part de vous proposer de me consacrer quelques heures, ici ou là ? ( il cligna de l’œil) Je vous apprendrai à cuisiner… entre autre.

Une délicieuse odeur à toast et café frais fait, tira Nate de son sommeil. Quel réveil agréable!...Oups! Elle vivait seule. Ces odeurs engageantes qui montaient à l'étage ne pouvaient avoir qu'un explication. Nate sauta du lit, courut à la salle de bains, se brossa les dents, mit un semblant d'ordre dans sa coiffure et enfilant sa robe de chambre, se précipita au rez de chaussée.

Le spectacle qui l'attendait lui tira un sourire ravi. Justin Davenport, en chaussettes, un soupçon de barbe ombrageant ses joues, préparait un petit déjeuner digne de ce nom.

Wow! quelle merveilleuse surprise...

Bonjour, Nate. Vous avez bien dormi? je suis...confus pour le dérangement. N'allez pas croire que j'ai l'habitude de...

Elle éclata de rire devant cet air si contrit.

Quel dérangement? Je n'ai fait que vous enlever les chaussures et vous couvrir. Vous dormiez comme un bébé. Et non, je ne pense pas que ce soit dans vos habitudes...mais une fois ne fait pas coutume et après tout ce que nous avons bu hier soir...ça n'a rien d'étonnant ni de choquant...Mmmm! Vous avez fait vraiment des exploits!

Sans demander son reste, elle prit place à table, prête à déguster ce banquet inespéré. Pas besoin de dire, qu'elle ne manqua pas de goûter tout ce qu'il lui présentait si galamment.

C'est vraiment délicieux...exquis!, elle portait à sa bouche un peu de ces œufs brouillés qui avaient un goût glorieux, je devrai vous faire boire plus souvent...ce petit déjeuner est...digne d'un roi!

Il la regardait en souriant. Vraisemblablement ravi de voir l'accueil qu'avait ce, pour lui, simple repas. Puis, il croqua un toast et s'enhardit pour commencer à parler. Nate baissa sa fourchette et l'écouta, attentivement.

Je sais que je vais abuser de votre civilité mais qui ne tente rien, n'a rien. J'ignore à quel point vous pouvez être occupée ces prochains jours.

Nate arqua un sourcil mais ne pipa mot, attendant qu'il finisse de parler.

Personnellement, je suis en congé toute cette semaine après une mission assez rude.

Elle ne fit aucun commentaire, mais son regard fut plein de compréhension. Ce prologue avait suffi pour éveiller tout son intérêt.

Serait ce très cavalier de ma part de vous proposer de me consacrer quelques heures ici ou là?

Nate ne doutait pas de ses bonnes intentions, le jeune homme avait les manière d'un prince et en plus était absolument charmant. Le clin d'œil qu'il lui fit, la fit sourire. Il semblait se relâcher un peu.

Je vous apprendrai à cuisiner...entre autre.

La proposition était irrésistible, même si elle se demandait ce qu'il avait voulu sous entendre avec ce " entre autre". En croisant les mains sous son menton, elle le dévisagea pendant un instant. Ses yeux pétillaient de malice et bonne humeur.

Cuisiner?...Mmm! C'est tentant.Très en fait. Promettez moi de ne pas me prendre pour une fille facile si j'accepte d'immédiat...en plus j'ai...quelques pages en blanc dans mon agenda sociale, elle fit une petite moue boudeuse, suspension de service pour altercation en lieu public...horrible, non?

Nate devina qu'il se demandait ce qu'elle avait pu bien faire. Elle avait un air passablement inoffensif, après tout.

J'ai lancé un Furunculus puis un Stupefix à une collègue de travail...vous savez, vraiment odieuse..., elle haussa les épaules et soupira, elle l'avait mérité!

Elle but sagement son café en attendant qu'il se souvienne ,tout à coup, de quelque très important rendez vous, voyage à l'étranger ou n'importe quoi d'autre, pour se décommander. Il penserait sûrement qu'elle...

*Que diables...*

Comme escompté, Miss Sommerby goûta à tout avec des mines de chatte gourmande.
A la question de Justin, elle ne s’était ni offusquée, ni pâmée. Elle était délicieuse avec les mains croisées sous le menton et son sourire craquant. Son :
« Promettez moi de ne pas me prendre pour une fille facile si j'accepte d'immédiat.. » le laissa un peu pantois. Il ne lui proposait que des cours culinaires, qu’il sache !
La suite du discours de Nate le prit de court. Il venait de siroter un gorgée de café lorsqu’elle sortit :

J'ai lancé un Furunculus puis un Stupefix à une collègue de travail...vous savez, vraiment odieuse..., elle l'avait mérité!

Le café fut recraché dans la tasse. Toussant copieusement Davenport s’étouffait… de rire. Il reposa sa tasse qui était secouée dangereusement et se tapa la cuisse en s’esclaffant à grand bruit.

Vous… vous avez vraiment fait ça ? hoqueta-t-il.

Le signe positif déclencha un nouvel accès d’hilarité.

Vous… vous êtes impayable ! ça me rappelle mes folles années avec De Brent ! Au moins me voilà prévenu : on n’a pas intérêt à vous chercher noise.

Incroyable ! En moins de vingt-quatre heures cette fille était parvenue, sans le savoir, à un réel exploit : elle le faisait rire aux larmes. Il n’y avait que son copain Michael qui y arrivait d’habitude. Hélas, le pauvre n’était plus d’humeur… lui non plus du reste, jusqu’ici.

Eh bien, Miss Sommerby, c’est entendu. Je vous attends à la préparation du déjeuner. Je vais, avec votre permission, me retirer dans mon domaine « La Folie » et tout y préparer pour vous recevoir dignement. Disons… vers 11h 30 ?

La jeune femme accepta. Davenport se leva, saisit la main de Nate, lui offrit un baise-main des plus courtois avant de gagner le jardin d’où il transplana après un dernier clin d’oeil.

Rentré chez lui, Justin se sentait poussé par des ailes. Cela faisait longtemps qu’un tel sentiment de plénitude ne l’avait saisi. En sifflotant, il passa un long moment à la salle de bains après avoir demandé à ses elfes de remplir le frigidaire de denrées fraîches. Rasé de frais, lotionné discrètement, il s’étonna de sa fébrilité.

* Triple idiot ! On dirait un gamin à son premier rendez-vous !*

Il avait beau s’admonester mentalement, n’en demeurait pas moins qu’il s’interrogeait : viendra, viendra pas ?
Pile à l’heure, Miss Sommerby se présenta à l’entrée. Elle était radieuse quoiqu’un peu confuse en lui offrant son présent. Il l’apprécia beaucoup. Le paysage était identique à ses souvenirs.

Je lui trouverai une place de choix face à mon bureau. Ainsi, lorsque je lèverai les yeux, je penserai à vous.

Croyant discerner un léger rougissement, il s’empressa de refiler un tablier à la demoiselle. Le cours particulier commença.
Evider convenablement des tomates demande une certaine dextérité. Un non initié va les massacrer à coup sûr… cela ne rata pas. La pulpe retirée avec la peau transpercée… le résultat n’était pas fameux. La pauvre Nate avait l’air si désolé que Justin s’empressa de mieux orienter ses gestes. Collé contre son dos, il guida ses mains s’étonnant de leur douceur et fermeté.

Eh bien vous voyez, ce n’est pas si mal finalement. On ne va rien jeter à la poubelle. Nous rattraperons les cadavres pour un potage... ce soir.

La mayonnaise fut plus ardue encore. Nate, pleine de bonne volonté, s’appliquait du mieux possible. L’huile refusait de s’incorporer : c’était lamentable. Davenport se força à ne pas rire devant le triste résultat obtenu. Il aida Nate à tout reprendre à zéro.
Tout en dirigeant la main de la jeune femme au montage de l’émulsion, il ne pouvait s’empêcher d’être un peu perturbé. Etait-ce dû au délicat parfum de cette chevelure soyeuse dont la tournure en queue-de-cheval lui chatouillait les narines ou à l’attrait d’une nuque satinée si proche de ses lèvres ?
Le fait est que lorsque, brusquement, Nate tourna la tête en quête d’une approbation, un ange passa. Il ne pouvait détacher son regard de celui si semblable à un lac ensoleillé… Qu’il serait doux de s’y noyer ! D’un simple mouvement, Justin aurait pu s’emparer du minois levé vers lui et goûter la saveur de l’ourlet vermillon présenté à sa convoitise. Il préféra briser le charme d’un sourire éclatant :

Vous vous en sortez très bien, Nate. Nous allons ajouter le ketchup et le whisky.

La suite des préparatifs s’écoula dans la bonne humeur. Les cuistots n’eurent bientôt plus qu’à s’attabler et déguster le fruit de leurs efforts. Nate parut satisfaite de son ouvrage dont la complimenta joyeusement Davenport.
Au moment du café, il s’enquit :

Que diriez-vous d’une promenade digestive ? Le parc s’étend sur plusieurs hectares de terrain, de quoi faire un bon bout de chemin.

Enchantée de bouger, Miss Sommerby l’accompagna à la double porte donnant sur l’arrière du bâtiment.
A pas lents, ils sillonnèrent les sentiers dallés soigneusement entretenus. Justin ne manquait pas de détailler les lieux. Roseraie, serres, parterres ravirent Nate qui y allait de ses commentaires pointus. Elle s’informa sur les constructions à proximité.

C’est là que je cache mes meilleurs amis, rit-il. Venez que je vous les présente !

Les chevaux perçurent l’arrivée du maître et piaffèrent gaiement en sortant leur museau des boxes.

Voici Aramis, là c’est Porthos, chacun d’eux représente une personne spécifique. D’ailleurs, voici Athos… c’est tout moi. La famille est un peu dispersée pour le moment, j’ai prêté deux montures à des amies de la campagne. Il me manquait un d’Artagnan, je pense avoir trouvé à qui le confier.

Prenant la main de Nate, il conduisit la jeune femme près d’un enclos où caracolait un splendide étalon à la robe de jais.

Il est encore un peu timide. Je ne l’ai que depuis un mois.

Justin émit un doux sifflement, l’animal cessa de batifoler pour accourir à la barrière comme heureux d’avoir de la compagnie. Caressant le chanfrein soyeux, Davenport flatta l’encolure en murmurant des mots incompréhensibles. Le cheval hennit légèrement en hochant la tête.

Voilà. Je l’ai averti que tu étais sa future cavalière ; il est d’accord. Si ça te dis, j’ai des bottes et des bombes dans la grange, c’est obligatoire. Je ne veux plus d’accident tel celui de Michael.

Il narra cet épisode tout en menant Nate s’équiper.