C'était un après-midi que toute personne ayant une passion pour les rendez-vous galants, les batailles de polochons et les contes de fées aurait trouvé radieuse : le temps était doux pour décembre, les oiseaux avaient décidé de chanter leur hymne à l'amour et même le Saule Cogneur semblait se tenir tranquille. Mais Alba-Moera n'avait pas envie de sourire. Ni même de rire ou de courir ou encore un verbe en "ir" faisant hommage à la gaieté. Elle était accroupie au bord du lac, ses yeux argents scrutant un point invisible au milieu de l'immensité verdâtre et glacée. Serrée dans son poing, une chaînette en argent, qui avait dû appartenir à la mère de son arrière grand-mère. Elle s'en fichait. Elle était triste maintenant.

Il n'y a jamais d'eau dans mes yeux, pensa-t-elle alors sa gorge se serrait.

La vie a ceci d'incroyable qu'elle nous enlève toujours ceux que l'on s'attend le moins à voir crever. Se protéger dans une carapace de cynisme, voilà ce qu'elle avait toujours fait, et ce qu'elle continuerait de faire malgré la mort, malgré la douleur. Alba-Moera n'avait jamais eu de véritable idole à afficher sur les murs d'une chambre d'ado (elle n'avait, de toutes façons, pas eu d'adolescence.) Mais une des seules personnes pour qui elle avait un tant soit peu d'estime s'était éteinte, comme une envie de pisser. Tout le monde mourait sur une envie de tuer du Mage Noir, ces temps-ci, elle aurait dû s'y attendre, on ne surpprenait pas Alba-Moera Derviche comme ça.

Il n'y a jamais d'eau dans mes yeux.

Il se faisait tard, à présent, la lune n'allait pas tarder à entamer sa course, elle se reflèterait alors dans l'eau comme le visage d'Alba-Moera à cet instant. La jeune fille ne savait pas depuis combien de temps elle était assise, vide et fatiguée, ne sachant pas comment congédier la tristesse qui envahissait son coeur.

-Devoir de botanique ? répêta bêtement Alba-Moera. Surprise par l'arrivée de sa camarade, la jeune fille avait sursauté et manqué de tomber dans le lac. Elle s'était rattrapée à temps, et la question technique de Mary lui parvint comme de très loin, comme en rêve. Elle secoua la tête afin de revenir sur Terre, et, se redressant nonchalement, prenant l'attitude normale d'Alba-Moera Derviche, elle marmonna dans un souffle:

-Ne me dis pas qu'il y a un devoir demain ou je me suicide.

Toute personne qui connaissait Alba savait bien que le suicide ne faisait pas partie de ses divagations habituelles, mais vu l'état dans lequel elle était depuis tout à l'heure, il y avait lieu de douter. Ne jouant pas trop sur la situation, elle finit quand même par afficher un maigre et triste sourire.

-T'as dit ça pour me faire flipper, hein ? Malin... Ne t'inquiète pas pour moi, va.

Mary faisait partie des Serpentardes intelligentes, aussi avaient-elles l'habitude de traîner ensemble, et Alba savait qu'une aussi piètre feinte ne la sauverait pas de la curiosité de Mary. Aussi décida-t-elle de répondre avant une autre question :

-J'ai perdu une personne que j'admirais. On en perd tous une chaque jour dans les temps qui courent (oh couuurs, changent les plaisirs... ) et bon... Voilà quoi... C'est une blague ce devoir, hein ?

hj : c'est quoi cette histoire de devoir, sérieux ? Tu peux m'envoyer le lien en mp ?

-L'influence des plantes sur les populations... Encore un devoir qui s'annonce passionnant et riche en rebondissements !

Levant les yeux au ciel pour implorer la grâce d'un quelconque dieu qui serait passé par là. Voyant que cela n'avait guère d'effet, elle baissa la tête et fixa Mary. Elle non plus n'avait pas trop apprécié l'intervention du jeune garçon, surtout qu'elles ne le connaissaient apparement pas, nin l'une ni l'autre.

-Que Rusard m'interdise... ?! Héhé, si Rusard devait interdire quelque chose à un Serpentard, cela se saurait, j'ai pas choisi cette maison pour rien, sourit-elle doucement avant de regarder le lac. La neige commençait à tomber sur le Parc, des floncons doux comme la soie, qui mouraient gentiment sur leurs moufles ou leurs joues.

-J'aimerais être un flocon. Vivre dans la chute mais mourir avec douceur. Pas toi ?

Réalisant qu'elle devenait morbide, elle se tut aussitôt et regarda les élèves qui rentraient peu à peu. Il se faisait tard, mais elle n'avait pas envie de rentrer. Elle aimait bien la neige.